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La ville impériale, en pleine mutation, en
pleine expansion, représente un des thèmes majeurs d'inspiration
des photographes panoramistes du Second Empire : outre Le Gray, qui
n'aborde ce thème qu'en 1859, Marville, Baldus et les frères
Bisson en sont les représentants les plus significatifs.
Les points de vue choisis, au cur même de la cité,
ne sont pas propres à Le Gray : ils sont connus pour se prêter
à des compositions en larges bandes horizontales, vues de la Seine
avec les ponts en perspective et les monuments déployés
de part et d'autre. La vue vers l'ouest, prise de l'atelier de l'opticien
Lerebours, sur le quai de l'Horloge, avec le square du Vert-Galant au
premier plan, a aussi été traitée en panorama par
Baldus et Bisson. De même la vue prise depuis les fenêtres
de la bibliothèque du Louvre correspond à un très
grand format des Bisson (deux images de 38 x 85 cm juxtaposées)
et à une vue de Baldus qui présente exactement l'axe repris
par Le Gray.

À la fin des années 1860, au Caire, Le Gray produit
à nouveau plusieurs panoramas. Une grande vue des pyramides, en
trois planches qui se succèdent dans l'album ayant appartenu à
Félix Paponot, semble faire de loin écho à la composition
de la messe du camp de Châlons. Ici encore, l'image joue sur la
composition triangulaire, la centralité et le développement
horizontal. Il est tentant de la lire comme une évocation de la
bataille qu'avait remportée au pied des pyramides le général
Bonaparte, dernier allusif hommage à la gloire de l'Empire. Malheureusement,
l'unique exemplaire connu de cette uvre magistrale est trop passé
pour que l'on puisse mesurer exactement l'effet des jeux de lumière
sur les formes simples et puissantes des pyramides.

C'est en cinq planches que se déploie une vue du Caire – alors
que les panoramas de Paris, on l'a vu, n'en comptaient que deux. Sur l'axe
central, on aperçoit l'atelier du photographe français Désiré,
sans doute une connaissance de Le Gray. Ce panorama de travelling, comme
le montre la rotation des ombres d'une planche à l'autre, suit
de gauche à droite la course du soleil, de l'heure de midi jusqu'au
coucher. Pour la première fois, le temps des prises de vue successives
s'inscrit ainsi de façon tangible dans l'image.
Un autre petit panorama réalisé au Caire, qui consiste en
deux formats carte-de-visite accolés horizontalement, a pour thème
les tombeaux des califes. Les somptueux monuments menaçant ruine
au milieu d'une vaste étendue désolée sont comme
une nouvelle méditation en images sur l'histoire et la fugacité
de la gloire. Des nombreuses photographies de ces tombeaux réunies
dans l'album Paponot, une dizaine semblent appeler eux aussi une juxtaposition :
s'il s'agit effectivement d'un ou de plusieurs grands panoramas, ils restent
à reconstituer, éventuellement à l'aide d'autres
pièces, encore inconnues.

Enfin, le conflit du Pacha avec les tribus rebelles du Soudan offre à
Le Gray l'occasion de transposer dans les étendues d'Égypte
l'art de la photographie militaire. La gravure sur bois légendée
"Colonne d'artillerie en marche vers le Soudan, d'après une
photographie de M. Gustave Le Gray" reproduit manifestement un panorama
en deux planches, dont le raccord même, par un scrupule étonnant,
est conservé. La photographie correspondante est inconnue, bien
que les mêmes dromadaires figurent à l'arrêt dans d'autres
vues, prises avant le départ. Cette large composition laisse espérer,
pour la période orientale de Le Gray, la découverte de nouveaux
panoramas qui ne seraient pas seulement architecturaux, mais pourraient
renouer avec le modèle du camp de Châlons.
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