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Cent mille francs en espèces ont été
apportés à Le Gray par un ancien député, riche
propriétaire retiré en son château normand de Dampierre,
Barnabé Louis Gabriel Charles Malbec de Montjoc, marquis de Briges.
Les affaires immobilières, dans un emplacement aussi recherché,
étaient négociées rudement. Le bâtiment qui
accueillit Le Gray, et peu après les frères Bisson, venait
d'être construit en 1854-1855 et n'était même pas achevé.
N'ayant reçu qu'une surface toute nue, Le Gray en terminait début
1856 l'aménagement à grands frais.
Le résultat des investissements de Le Gray, au dire des contemporains,
est somptueux. Après des mois de travaux, l'ouverture est saluée
dans le journal L'Illustration par un reportage enthousiaste :
"Depuis que la photographie est devenue un art, les établissements
consacrés aux opérations ont dû nécessairement
se transformer. Au laboratoire a succédé l'atelier, l'atelier
est bientôt devenu salon, et même, comme chez M. Le Gray,
un cabinet de haute curiosité, avec antichambre richement ornée.
Du centre de cette pièce, aux murs tendus de cuir de Cordoue, qui
rappellent les riches intérieurs flamands de Miéris et de
Metzu, s'élève un double escalier à balustres tors,
rampés de velours rouge et de crépines, conduisant à
l'atelier vitré et au laboratoire des opérations chimiques.
Cet escalier offre à la curiosité des visiteurs un Moïse
sauvé des eaux, tableau peint en 1777 par François de
Mura, et un miroir de Venise entouré d'une bordure ronde en bois
sculpté, formée d'un enroulement d'amours très grassement
modelés.
Dans le salon, éclairé par une large baie vitrée
sur le boulevard, se trouve un cabinet de chêne sculpté,
style Louis XIII, dont les panneaux représentent diverses
scènes de la Bible, recouvrant une multitude de tiroirs et de secrets
qui sont le cachet distinctif de ce genre de meubles. Sur la cheminée
qui est en face s'élève une glace style Louis XIV,
curieusement découpée et ornée de gravures en creux
dont les sujets sont empruntés à des combats de cavaliers
d'Europe et d'Orient. Parmi diverses peintures disposées sur la
riche tenture de velours cramoisi qui leur sert de fond, on distingue
surtout un portrait d'Isabelle la Catholique de l'école du Bronzino.
Un autre portrait de femme flamande est attribué à Mervelt.
Enfin, sur une table vénitienne en bois richement sculpté
et doré, pêle-mêle avec des plats flamands de cuivre
repoussés et des vases de Chine, se trouvent les portraits en épreuves
volantes les mieux réussis des personnages éminents qui
ont passé devant l'objectif de M. Le Gray, et dont d'autres épreuves
coloriées forment l'ornement d'un petit boudoir attenant au salon.
Mais ce qui fait le principal mérite de l'établissement,
c'est l'habileté incomparable de l'artiste, c'est la précieuse
exposition de l'atelier, où la lumière vient travailler
sous la savante direction de M. Le Gray, comme un diligent ouvrier qui
accourt à sa tâche quotidienne au lever du soleil."
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