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Dans un rapport sur l'exposition bruxelloise de 1861,
Edouard Fierlants déplorait le système appliqué par
Lyte et suivi par de nombreux photographes de paysage. Il revenait à
la charge dans le compte rendu concernant la photographie à l'exposition
universelle de Londres en 1862. En voici un passage extrait de la Revue
photographique (1862, pp. 281-289).
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Aujourd'hui, je ne veux poser
que deux questions : si elles étaient résolues, je crois qu'elles
aideraient à la solution du problème.
La première est celle-ci : Croit-on qu'il soit possible de refaire
les ciels sur toutes les épreuves de paysage, et ne doit-on pas positivement
y renoncer quand le feuillage dépasse l'horizon, et qu'il est si
léger qu'il laisse passer cent fois la lumière du ciel sur
une surface d'un centimètre carré ? Ne faut-il pas y renoncer
encore quand le paysage est reproduit l'hiver et que les branches fines
et enchevêtrées défieraient le burin le plus habile.
J'ai vu à Londres des retouches faites dans ces conditions là
; elles ont donné des résultats déplorables, et personne,
en les voyant, ne pourra défendre le triste travail auquel on s'est
livré pour obtenir une aussi pauvre épreuve.
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Ce système de retouche doit être abandonné, s'il n'est
pas toujours applicable ; quand bien même il donnerait de bons résultats,
ce que je nie absolument, car on en arriverait à ne reproduire, par
la photographie, que les paysages dont les arbres ne se découpent
pas sur le ciel (et consultez tous les maîtres en peinture, vous verrez
que ce sont ceux qu'ils ont reproduit de préférence) ; ne
serait-il pas ridicule de circonscrire la photographie dans ce cercle restreint
? On est assez à l'aise pour soutenir ce système quand on
a à faire des fonds de montagne ; mais quand il faut faire des paysages
en Hollande, en Belgique et dans certaines parties de la France, où
le pays est admirable pour les études d'artistes, mais sans un monticule
aussi loin que le regard peut porter, ce procédé devient impraticable.
Le goût des photographes qui font le paysage s'est faussé :
ils ont cru qu'ils devaient obtenir des ciels blancs, parce que c'était
une difficulté ; ils ont voulu avoir des nuages, parce qu'il était
impossible de les avoir naturellement, et, ne pouvant les obtenir sur le
cliché, ils ont employé une ficelle pour les reproduire
sur l'épreuve ! C'est une erreur dont on reviendra bien certainement.
La deuxième question est que : si on avait un paysage à reproduire
d'après un tableau, croit-on qu'il serait possible de faire le ciel
à part ? J'ai essayé cela : on obtient des choses absurdes,
et si on parvenait à se satisfaire soi-même (car on aime en
général assez son uvre), qu'on la montre à l'artiste
qui a peint le tableau, et l'on verra qu'il préférera le ciel
tel que l'aura donné le cliché.
En poussant plus loin ce système des paysagistes, on en arrive à
faire ce que font les Anglais, très adroitement du reste : une épreuve
à vingt clichés rapportés. On en arriverait à
reproduire un tableau difficile par différents clichés rapportés,
et on ne ferait plus de la photographie, mais un jeu de patience ; puis
des épreuves retouchées et refaites qui feraient perdre toute
la confiance que l'on a dans la photographie, qui doit représenter
la chose elle-même sans supercherie.
Du jour où on perdra la confiance que l'on a et que l'on doit avoir
dans la photographie, elle aura perdu la moitié de son mérite
et de son utilité.
Un exemple. Voici à quel point on en est arrivé : on rapporte
sur des ciels du Tyrol ou de la Suisse des fonds de nuages : cependant ces
ciels sont bleus ; du moins leur caractère est d'être tel.
J'ai vu bien mieux que cela c'est un cliché de nuage fait sur l'Escaut,
à Anvers, rapporté sur une vue de l'Île de Philae, en
Egypte ! Est-ce assez absurde ? Ce sont là des exagérations,
et certes, il paraît naturel de faire consécutivement deux
clichés l'un pour le paysage, l'autre pour le ciel, et de les rapporter
ensuite l'un sur l'autre ; mais à mon avis, vous n'aurez jamais d'harmonie
si toute l'épreuve n'est pas venue en même temps. |