Des marchands arrivent à Ormuz
Marco Polo (1254-1324), Le Devisement du monde ou Livre des Merveilles
Récit de 1299, copié à Paris vers 1410-1412.
Enluminure par le Maître de la Mazarine et collaborateurs. Manuscrit sur parchemin, 299 feuillets, 42 x 29,8 cm
BnF, département des Manuscrits, Français 2810, fol. 14v
© Bibliothèque nationale de France
Le port d’Ormuz, situé en face de l’île portant actuellement ce nom dans le détroit séparant l’océan Indien du golfe Persique, est un grand port de commerce entre l’Inde et l’Arabie. Il est probable que les Polo aient cherché à y embarquer pour l’Extrême-Orient. Cependant, l’état des bateaux utilisés les fait renoncer à ce projet et privilégier la route terrestre, beaucoup plus longue, mais qui leur parut plus sûre. Pendant des siècles, les marchands arabes ont utilisé leurs bateaux traditionnels, jouant des vents de la mousson entre l’Inde et l’Arabie pour voyager et faire commerce.

De la plaine de Curmos [Ormuz] et de la vallee dangereuse
On arrive alors à la mer Océane. Sur ses rives, il y a la cité de Curmos, avec son port. Les bateaux y abordent chargés d'épices, de pierres précieuses, de perles, d'étoffes d'or et de soie, de dents d'éléphants et de bien d'autres marchandises. Les marchands les vendent à d'autres marchands qui eux-mêmes vont en faire commerce à travers le vaste monde. Curmos est une ville très commerçante. D'elle dépendent de nombreuses cités et châteaux. Elle est la capitale du royaume. Le roi se nomme Ruenedam Acromat.
La chaleur du soleil rend le pays très chaud et la terre malsaine. Si quelque roi étranger meurt en cette contrée, le roi confisque ses biens. On y fait un très bon vin de dattes bien épicé. Il donne la diarrhée à ceux qui n'en ont pas l'habitude et peut les purger entièrement. Mais ensuite, il leur fait grand bien et les fait engraisser. Quand ils sont malades, ils mangent de la chair et du pain de froment, mais s'ils en mangent quand ils sont en bonne santé, ils tombent aussitôt malades. Quand ils sont en bonne santé, ils mangent des dattes et du poisson salé, des oignons et des ciboules. Les oignons les gardent en bonne santé. Leurs bateaux sont mal construits. Ils en perdent beaucoup, car ils ne sont pas cloués avec des clous de fer, mais cousus avec le fil qu'ils font à partir de l'écorce des arbres à noix d'Inde. Ils en aplatissent l'écorce, qui devient comme du crin de cheval. Ils en font du fil dont ils cousent leurs bateaux. Ce fil est assez solide pour résister à l'eau de mer, mais pas à un accident. Leurs bateaux ont un mât, une voile, un gouvernail, mais pas de couverture. Quand ils sont chargés, ils les recouvrent de cuir, et y mettent les chevaux qu'ils vont vendre en Inde. Ils n'ont pas de fer pour faire les clous, et assemblent leurs bateaux avec des chevilles de bois, qu'ils cousent ensuite de fil. Il y a grand danger à utiliser ces bateaux qui coulent vite, car il y a assez souvent de grandes tempêtes sur la mer d'Inde.
Les gens de ce pays sont noirs et adorent Mahomet. L'été, ils ne restent pas dans les villes, à cause des grandes chaleurs qui les font suffoquer. Ils vont à la campagne, dans des jardins bien arrosés. Voici comment ils se protègent de la chaleur. Souvent, il souffle du désert de sable un vent dont la chaleur serait capable de les tuer. Dès qu'ils le sentent venir, ils se plongent dans l'eau jusqu'au niveau de la tête, et ce jusqu'à ce que le vent se calme.
Ils sèment leur froment, leur orge et leurs autres céréales au mois de novembre, et les récoltent au mois de mars. Ils n'ont aucune herbe verte, sauf les dattes qui donnent jusqu'au milieu du mois de mai, et cela à cause de la grande chaleur qui dessèche tout. Les bateaux n'en souffrent pas, car ils les badigeonnent d'huile de poisson.
Ils font grand deuil quand l'un d'entre eux meurt. Ils pleurent leurs défunts quatre longues années, se réunissant au moins une fois par jour pour se lamenter et les pleurer entre parents, voisins et amis. Laissons cette région. Nous vous parlerons du pays d'Inde en temps opportun, par le nord, et nous reviendrons par un autre chemin vers cette cité de Creman. On ne peut aller dans la cité dont je vais maintenant vous parler que par la cité de Creman. Le roi Ruemedan Acromat de Cormort que nous venons de quitter est vassal du roi de Creman. Sur la route de retour de Curmos à Creman, il y a une grande plaine où jaillissent naturellement des bains chauds. Elle est peuplée de nombreuses cités où l'on trouve abondance de fruits à bon marché, ainsi que de dattes, et toutes sortes d'autres nourritures. Le pain qu'ils font avec le froment est très amer. Nul ne peut en manger à moins d'y être habitué. C'est que l'eau qu'ils utilisent pour le faire est elle-même très amère. Les bains dont je vous ai parlé ont la vertu de guérir de la gale et de bien d'autres maladies.
 
 

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