Le Prêtre Jean [Toghril] reçoit les messagers de Gengis Khan
Marco Polo (1254-1324), Le Devisement du monde ou Livre des Merveilles
Récit de 1299, copié à Paris vers 1410-1412.
Enluminure par le Maître de la Mazarine et collaborateurs. Manuscrit sur parchemin, 299 feuillets, 42 x 29,8 cm
BnF, département des Manuscrits, Français 2810, fol. 26
© Bibliothèque nationale de France
La légende du Prêtre Jean, souverain fabuleux d’un royaume chrétien situé en Asie ou en Afrique, est née au XIe siècle en Europe. Elle grandit quand commence à circuler, à partir de 1165, une lettre du Prêtre Jean à l’empereur Manuel Ier Comnène, apocryphe sans doute rédigé en Allemagne pour permettre le rapprochement de la Papauté et de l’Empire. Divers souverains mongols de confession nestorienne ont été identifiés au cours de l’histoire au Prêtre Jean ou à ses descendants, de même que la présence de communautés chrétiennes isolées en Inde ou en Éthiopie a contribué à la légende. Marco Polo identifie pour sa part le Prêtre Jean à Toghril, appelé aussi Wang Khan, chef des Kéraïts, des tribus turques de confession nestorienne vivant en Mongolie centrale. Elles dominaient la région, jusqu’à ce que Gengis Khan en rassemblant les tribus mongoles mette fin à leur hégémonie en 1203.

Comment le Prêtre Jean marcha contre Gengis Khan
Ainsi raconte l'histoire. Lorsque le Prêtre Jean apprit que Gengis Khan marchait sur lui avec son armée, il partit à sa rencontre avec tous ses hommes et arriva en la plaine de Tanduc ; il y installa son camp à vingt milles de celui de Gengis Khan, et les deux armées se reposèrent. Ainsi donc les deux grandes armées se trouvaient-elles dans cette plaine de Tanduc. Un jour, Gengis Khan fit appeler ses astrologues chrétiens et musulmans pour leur demander qui serait vainqueur, du Prêtre Jean ou de lui. Les musulmans cherchèrent en vain. Les chrétiens en revanche lui en dirent toute la vérité et lui en firent claire démonstration. Ils prirent en effet un roseau et le fendirent en deux morceaux, l'un d'un côté, l'autre de l'autre ; [il était posé à terre] et personne ne les tenait. Les astrologues nommèrent un des morceaux Gengis Khan, et l'autre Prêtre Jean. « Regardez, dirent-ils, et vous connaîtrez l'issue de la bataille que doit gagner le meilleur. Le morceau de roseau qui viendra se placer sur l'autre sera vainqueur. » Gengis Khan leur répondit qu'il le regarderait volontiers et qu'ils agissent aussitôt. Alors les astrologues chrétiens lurent un psaume du Psautier et firent leurs autres magies. Et devant tout le monde, le morceau de roseau où était inscrit le nom de Gengis Khan joignit, sans que personne ne le touchât, celui du Prêtre Jean et vint se placer sur lui. Gengis Khan en eut grand-joie. C'est la raison pour laquelle depuis ce jour les chrétiens eurent sa confiance, et il leur fit toujours grand honneur.

Il raconte la bataille de Gengis Khan et du Prêtre Jean
Les armées se reposèrent pendant deux jours, puis les deux partis s'armèrent et se combattirent férocement. Ce fut la plus grande bataille qu'on ait jamais vue. Il y eut beaucoup de morts de part et d'autre. À la fin, Gengis Khan fut vainqueur et le Prêtre Jean mourut. Ce jour là, il perdit toute sa terre, que Gengis Khan conquit jour après jour. Après cette bataille, Gengis Khan régna encore six ans, continuant sans cesse ses conquêtes.
À la fin de la sixième année, il se rendit au château de Calacuy, et y mourut d'une flèche. Et ce fut grand dommage car c'était un homme probe et sage. Après vous avoir raconté comment les Tartars eurent comme premier seigneur Gengis Khan et comment il vainquit le Prêtre Jean, je vous parlerai maintenant de ses successeurs, de leurs coutumes et de leurs usages.
 
 

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