Les habitants merveilleux de Bargu
Marco Polo (1254-1324), Le Devisement du monde ou Livre des Merveilles
Récit de 1299, copié à Paris vers 1410-1412.
Enluminure par le Maître de la Mazarine et collaborateurs. Manuscrit sur parchemin, 299 feuillets, 42 x 29,8 cm
BnF, département des Manuscrits, Français 2810, fol. 29v
© Bibliothèque nationale de France
Marco Polo n’est pas allé au bord du Lac Baïkal, il ne fait qu’en rapporter ce qu’on lui a dit. Le peintre de l’enluminure interprète très librement ses propos en peignant trois monstres traditionnels des bestiaires antique et médiéval. Pline l’Ancien dans le Livre V de son Histoire naturelle parle des Blemmyes comme d'un peuple situé en Abyssinie, sans tête et ayant les yeux et la bouche sur le ventre. Selon le même auteur, citant Stécias, les Sciapodes sont un peuple de l’Inde n’ayant qu’un seul pied qui leur donne une agilité merveilleuse, et qui peut aussi leur servir de parasol. À l’occident de ce peuple, il s’en trouve un autre ayant les yeux sur les épaules, ce qui a pu inciter l’artiste à peindre un Blemmye à côté d’un Sciapode. Enfin, les cyclopes sont depuis l’Odyssée des monstres bien connus à la brutalité légendaire.
Il parle de la plaine de Caracoron et des us et coutumes de ses habitants
Après quarante journées de chevauchée en direction du vent du Nord, depuis Caracoron et les monts de l'Altaï, sépulture des seigneurs Tartars, l'on arrive à la plaine de Bargu. Ses habitants, les Mescript, sont particulièrement sauvages et vivent de bétail. Ils suivent les coutumes des Tartars et sont sujets du Grand Khan. Ils ne produisent ni vin ni céréales. L'été, ils vivent de la chasse aux bêtes et aux oiseaux, mais pas l'hiver, car il y fait très froid.
On chevauche quarante jours durant au travers de cette immense plaine de Bargu, et l'on arrive à la mer Océane, près des montagnes, là où les faucons pèlerins font leurs nids. Ni homme ni femme, ni bête ni oiseau ne vivent dans ces montagnes, seulement une espèce d'oiseaux que l'on appelle barguelac, dont les faucons se nourrissent. Ils ont la taille d'une perdrix, les pattes d'un perroquet, la queue d'une hirondelle, et leur vol est très rapide. Aucun autre animal ne peut vivre là, tant il y fait froid. Lorsque le Grand Khan désire des petits de faucons pèlerins, c'est là qu'on vient les chercher. Dans les îles à l'entour naissent les petits des gerfauts. Et cet endroit est tellement au nord que l'étoile du Nord y est facilement visible près de la moitié du jour. Il y a là tant de gerfauts que le Grand Khan en a autant qu'il en désire. Lorsque les chrétiens apportent des gerfauts en Tartarie, ce n'est donc pas pour les offrir au Grand Khan comme vous pourriez le croire, mais pour en faire présent au seigneur du Levant. Je vous ai décrit les provinces en direction du vent du Nord, je vais maintenant vous raconter celles qui mènent au pays du Grand Khan. Nous reviendrons donc à la province Campitiu dont nous avons parlé.