La ville de Qinsay [Hangzhou], capitale du Mangi [Chine du Sud
Marco Polo (1254-1324), Le Devisement du monde ou Livre des Merveilles
Récit de 1299, copié à Paris vers 1410-1412.
Enluminure par Maître d’Egerton. Manuscrit sur parchemin, 299 feuillets, 42 x 29,8 cm
BnF, département des Manuscrits, Français 2810, fol. 67
© Bibliothèque nationale de France
Hangzhou est la capitale actuelle de la province chinoise du Zhejiang. La ville est située à 200 kilomètres au sud-ouest de Shanghai. Elle est la capitale des Song du sud à partir de 1123, jusqu’à l’invasion des Mongols en 1279. Quand Marco Polo la voit, elle est encore en partie détruite suite à la conquête mongole, mais reste considérée comme une des plus belles villes du monde. Les nombreux canaux qui la parcourent l’on souvent fait comparer à Venise. Les pavés qui recouvrent la chaussé sont un grand étonnement pour les voyageurs occidentaux de l’époque, dont les villes ont encore des rues boueuses.
Il parle de la splendide cité de Qinsay, capitale de la contrée de Mangi
La cité de Qinsay est si étendue qu'elle a bien cent milles de tour. Elle compte douze mille ponts de pierre, assez hauts pour laisser passer des navires de haute mer. Il n'y a pas lieu de s'étonner du nombre de ces ponts, car la cité est construite sur l'eau et en est environnée de toutes parts. Les ponts sont donc nécessaires pour y accéder.
Le papier continuait ainsi. La cité compte douze corps de métiers différents, et chaque métier possède douze mille maisons. Les artisans y travaillent et y dorment ; ici dix, ici vingt, ici trente ou quarante. Il y a des maîtres, mais aussi des ouvriers et des apprentis à leurs ordres. Ces métiers sont nécessaires, car toutes les villes de la contrée viennent se fournir dans la capitale.
Le papier continuait en ces termes. Une foule indescriptible de riches marchands y fait très grand commerce. Ni les maîtres des métiers, c'est-à-dire les maîtres des maisons, ni même leurs femmes ne travaillent de leurs mains. Ils vivent aussi délicatement et richement que des rois. Une ordonnance royale défend à quiconque d'exercer un autre métier que celui de son père, même pour tout l'or du monde.
Il y a dans la cité un très beau lac d'au moins trente milles de tour. On peut voir sur ses bords de magnifiques palais et de splendides maisons appartenant à de riches gentilshommes ou à des puissants de la cité, et aussi maintes abbayes et églises païennes. Au centre du lac, il y a deux îles et, sur chacune d'elles, un palais aussi somptueux que celui d'un empereur. Ces deux palais servent aux habitants de la cité pour leurs réceptions. Tout y est prévu pour cela, la vaisselle et le reste, en un mot tout ce qui est nécessaire à l'organisation de grands banquets. Le roi a fait cela pour honorer ses sujets. Tous peuvent s'en servir : ces palais appartiennent à ceux qui veulent y donner une fête.
Certaines maisons étaient pourvues de hautes tours de pierre. Dans la crainte des incendies, l'on y gardait les objets de valeur. Les autres habitations étaient construites en bois.
Les habitants de Qinsay sont idolâtres. Depuis leur conquête par le Grand Khan, ils utilisent monnaie de papier. Ils mangent de la viande de chien et de toutes sortes d'autres vilaines bêtes auxquelles les chrétiens ne toucheraient pour rien au monde.
Dès qu'il prit possession de la cité, le Grand Khan ordonna que les douze mille ponts fussent tous gardés, de nuit comme de jour, par dix soldats, et ce pour faire passer à quiconque l'envie de se mal conduire ou d'avoir l'audace de le trahir ou même de se rebeller.
Il y a dans la cité une colline surmontée d'une tour. Un homme y monte la garde. Chaque fois qu'un feu se déclare dans la ville ou que celle-ci est en proie à quelque soulèvement, le garde frappe avec un maillet sur une planche de bois, suffisamment fort pour être entendu au loin. Ces coups annoncent à toute la ville le feu ou toute autre calamité. Assurément le Grand Khan ne néglige rien pour préserver cette cité, qui est la capitale du Mangi, et dont il tire grand revenu pour les taxes sur le commerce qui s'y fait. Personne ne peut imaginer combien.
Toutes les rues de la cité sont pavées de pierre, de même que toutes les routes du Mangi. On peut y chevaucher partout sans se salir. Sans ce pavage, on ne pourrait tout bonnement pas le parcourir [quand il pleut], car le pays est très bas, et la terre s'y enfonce beaucoup avec la pluie.
La ville dispose d'au moins trois mille bains naturels, où les habitants prennent plaisir à se baigner et à se laver. La mer Océane est à vingt-cinq milles de là, près du port de Ganfu. De là arrivent et partent pour l'Inde et les pays étrangers de nombreux bateaux chargés de toutes sortes de marchandises. Un fleuve relie Qinsay à ce port de mer.