folio 16
détail du folio 16 détail du folio 16
 
Le cerf

A tout considérer, Gaston Phébus tient le cerf pour la plus noble chasse à laquelle on se puisse livrer.

"Quand ils sont en rut, c'est-à-dire en leur amour, dans une forêt où il y a trop peu de biches et quantité de cerfs, ils se tuent, se blessent et se combattent, car chacun veut être le maître des biches, et volontiers le plus grand cerf et le plus fort tient le rut et en est maître…Après, quand ils sont retraits des biches, ils se mettent en harde et en compagnie avec le harpail et demeurent dans les landes et les bruyères plus souvent qu'au bois, pour avoir la chaleur du soleil. Ils sont pauvres et maigres à cause de la fatigue qu'ils ont eue avec les biches, à cause aussi de l'hiver et du peu d'aliments qu'ils trouvent. Après, ils laissent le harpail et se réunissent à deux, trois ou quatre cerfs jusqu'au mois de mars où ils ont accoutumé de mettre bas leurs têtes ; les vieux cerfs le font plus tôt, d'autres plus tard, selon qu'ils sont jeunes ou ont eu mauvais hiver, ou ont été chassés, ou sont malades : alors ils muent leurs têtes et se réparent plus tard. Et quand ils ont mis bas leurs têtes, ils se gîtent dans les buissons au plus profond qu'ils peuvent, pour refaire leurs têtes et leur graisse, en un pays fertile en blé, pommes, vignes, regains, bois, pois, fèves et autres fruits et herbes dont ils vivent. Et parfois un grand cerf a bien un autre compagnon avec lui que l'on appelle son écuyer, quand il lui appartient et fait ses volontés. Et si on ne leur cause pas d'ennui, ils demeurent là toute la saison jusqu'à la fin d'août. Et alors ils commencent à muser, à penser et à s'échauffer, à errer et s'écarter du lieu où ils auront demeuré toute la saison, pour aller quérir les biches.
  

détail du folio 65 détail du folio 61v
Le cerf est plus sage en deux choses qu'aucun homme ou qu'aucune bête au monde : l'une est l'aptitude à goûter, car il a meilleur goût et mieux savoure et sent les bonnes herbes et feuilles et autres pâtures, qui lui sont profitables, que ne fait homme du monde, ni bête qui soit ; l'autre est qu'il a plus de sagesse et de malices à garantir sa vie que nulle autre bête ou homme, car il n'y a nul si bon veneur qui puisse concevoir les malices et subtilités qu'un cerf sait faire, ni il n'est ni si bon veneur ni si bons chiens qui souvent ne soient trompés en voulant forcer le cerf ; et c'est par son sens, sa malice et sa subtilité."