Le calotype
Le calotype est un procédé photographique sur papier, et désigne à la fois le négatif et le positif. Il est mis au point en 1840 par l’anglais William Henry Fox Talbot (1800-1877), après plusieurs années de tâtonnements qui, de 1834 à 1839, lui ont permis de constater les propriétés noircissantes de la lumière sur les sels d’argent – l’expression la plus aboutie en étant les "dessins photogéniques", simple empreinte en réserve d’un objet posé sur une feuille traitée puis exposée au soleil.
 
  Le procédé
Le support du calotype est une feuille de papier dont la surface est enduite au pinceau d’une solution de nitrate d’argent. La feuille est ensuite séchée puis immergée dans un bain d’iodure de potassium ; la formation d’iodure d’argent qui en résulte est nécessaire à la sensibilisation du support. Une solution de gallo-nitrate d’argent lui est appliquée en dernier lieu, avant que la feuille ne soit introduite, sèche ou encore humide, dans un châssis. La feuille, placée dans la chambre noire, est alors exposée à la lumière directe pendant une à plusieurs minutes. Après cette courte exposition, l’image est encore latente, car les sels d’argent ne noirciront qu’après avoir été soumis à l’action accélératrice d’un bain de gallo-nitrate d’argent. L’image apparue en négatif est ensuite lavée puis fixée dans une solution d’hyposulfite de soude.
L’image "positive" s’obtient par une dernière opération : la mise en contact du négatif et d’un papier salé – c’est-à-dire enduit de chlorure de sodium et de nitrate d’argent puis séché – les deux feuilles sont maintenues l’une contre l’autre dans un châssis-presse puis sont exposées au soleil, négatif dessus. L’image positive ainsi révélée est finalement fixée à l’hyposulfite de sodium.
 
  Avantages techniques et esthétiques
Le calotype présente donc un certain nombre de particularités, qui sont autant d’avantages en regard du daguerréotype, le procédé contemporain du français Daguerre. Alors que ce dernier est un positif direct sur plaque de cuivre argenté et donc non reproductible, le calotype offre la possibilité de tirer, à partir d’un négatif papier, un nombre théoriquement infini d’épreuves positives. L’autre attribut essentiel du calotype tient à ce que l’image, latente, peut être révélée dans un second temps, ce qui confère au procédé une certaine souplesse, une distinction étant désormais faite entre la prise de vue et le développement de l’image, ce qui sera un des traits majeurs de la photographie moderne.
Mais au-delà de la commodité du procédé, le calotype tire de la nature de son support le fondement même de son esthétique. La texture fibreuse, grenue du papier donne en effet à l’image un moelleux, une résonance veloutée qui emporte d’emblée l’adhésion des artistes. Les contrastes d’ombre et de lumière sont accentués – les ombres portées sont très noires – en même temps que les contours semblent avoir été passés à l’estompe ; on songe alors à une œuvre produite de la main même d’un artiste, au crayon, au lavis ou à l’aquatinte.
 
    Diffusion
Cependant, alors que le daguerréotype a atteint une certaine maniabilité, le calotype est à ses débuts un procédé complexe, aléatoire, long. Et, tandis que l’invention de Daguerre est tombé dans le domaine public, Talbot fait breveter le calotype en 1841 ; sa diffusion s’en trouve durablement entravée, contrariant ainsi d’éventuelles améliorations et un usage commercial. En 1844-1846, Talbot tentera tout de même de démontrer l’originalité de son procédé en éditant The Pencil of Nature, le premier livre imprimé illustré de photographies originales collées, faisant ainsi la preuve de l’utilité de la photographie comme technique d’illustration. Hormis Talbot, et malgré les exigences de celui-ci, quelques amateurs adopteront le calotype. Les plus remarquables sont les Ecossais David Octavius Hill – qui est peintre – et Robert Adamson, qui produiront ensemble, dans le courant des années 1840, de nombreux calotypes : séries de portraits de personnalités, puis portraits de groupes, scènes de genre, paysages. Leur œuvre, bien qu’imposante, ne sera redécouverte qu’à la fin du XIXe siècle.
La fortune du calotype étant en Angleterre limitée par le brevet de Talbot, c’est en France qu’il connaîtra un véritable essor. Dès le début de l’année 1839, le Français Hippolyte Bayard, indépendamment des travaux de Talbot, et devançant même ce dernier, parvient, à la suite d’un certain nombre d’essais, à obtenir des images positives directes sur papier, d’une qualité exceptionnelle. Il est déjà parvenu à produire des négatifs, dont il a même tiré quelques épreuves positives, mais il leur préfère les images positives directes, au moment même où le procédé positif de Daguerre remporte ses premiers succès. Pouvant être considéré comme un des inventeurs du calotype, Bayard ne se sent nullement gêné par le brevet de Talbot. Au cours des années 1840, Bayard et le baron Humbert de Molard, lui aussi calotypiste amateur, savent puiser dans les ressources du procédé de quoi alimenter une vision personnelle, tant dans le choix que dans le traitement des sujets, notamment des scènes de genre. Mais ce n’est qu’après son perfectionnement par les Français Louis-Désiré Blanquart-Evrard (en 1847) et Gustave Le Gray (en 1851) que le calotype accédera à son âge d’or. En effet, à l’issue d’une période de maturation ayant couru sur près d’une décennie, l’année 1851 se révèlera être décisive quant à l’essor véritable du calotype.

  Blanquart-Evrard
Négociant en draps mais surtout chimiste amateur, Blanquart-Evrard, tout en préservant les caractéristiques premières du calotype – image "négative", image latente – améliore notablement la qualité du support et les procédures : plutôt que d’appliquer de manière irrégulière la solution de sels d’argent au pinceau, Blanquart-Evrard y fait flotter le papier, dont la surface se trouve dès lors uniformément imprégnée. Il apporte aussi davantage de soin au lavage des épreuves, qui dès lors résistent mieux au pâlissement. C’est donc à une rationalisation du procédé de Talbot que tend Blanquart-Evrard, qui espère pouvoir industrialiser la production, notamment grâce à des papiers préparés à l’avance, prêts à être emportés et exposés.
En 1851, répondant aux vœux de la Société Héliographique fondée la même année à Paris, Blanquart-Evrard crée une imprimerie photographique à Loos-lès-Lille. Il y éditera des albums thématiques regroupant des tirages d’après des négatifs papier obtenus auprès des plus grands praticiens de l’époque, amis, amateurs ou professionnels, en un nombre et pour un coût qu’il veut satisfaisant. Plusieurs dizaines de milliers de tirages sortiront de l'imprimerie photographique jusqu’à ce que Blanquart-Evrard, incapable d’équilibrer les coûts de production et le prix de vente, ne doive se résoudre à la fermeture de l’imprimerie, en 1855. Les sujets des tirages vont des vues de monuments et de paysages, des évocations de la vie rurale ou encore des reproductions de tableaux. C’est par l'intermédiaire de cette entreprise qu’a pu nous parvenir une bonne part des épreuves de Charles Marville, Louis Robert ou encore Victor Regnault.
 
  Gustave Le Gray
Cette même année 1851, Gustave Le Gray, artiste peintre et photographe féru d’expérimentations techniques, assure pour quinze ans la pérennité du calotype par l’invention du papier ciré sec : le papier est sensibilisé par trempage dans de la cire d’abeille fondue, devenant ainsi plus uniformément perméable aux préparations chimiques, plus sensible, plus lisse et légèrement transparent ; il est alors à même de rivaliser en netteté avec la plaque de verre au collodion, le procédé qui, dès 1852, a commencé à remplacer avantageusement le daguerréotype. Mais quand ce dernier est un procédé humide nécessitant le transport d’un laboratoire itinérant, les plaques devant être préparées immédiatement avant la prise de vue et développées tout de suite après, le papier ciré présente l’avantage de pouvoir être préparé à l’avance puis d’être traité sec, dans un délai de plusieurs jours après l’exposition. Le papier ciré sec a cependant pour inconvénient la longueur du temps d’exposition, ce qui limite son usage aux sujets inanimés ou posés plutôt qu’à la représentation de figures en mouvement, pour laquelle Charles Nègre et Le Gray lui-même utiliseront la plaque de verre au collodion, notamment lors de leurs reportages à l’asile impérial de Vincennes (1858) pour le premier, au camp militaire de Châlons-sur-Marne (1857) pour le second.
 
  Fortune
Contrairement au collodion, dont l’invention est révélée en 1851 et dont le large circuit de diffusion passera surtout par les ateliers commerciaux, restant aux mains des photographes professionnels, le calotype devient naturellement le médium favori des amateurs d’art fortunés, et ceux des calotypistes qui en vendent sont avant tout des artistes, tels Le Gray, Baldus, Le Secq et Mestral. Ces derniers participent à la Mission héliographique de 1851, commanditée par la Commission des Monuments historiques, lors de laquelle ils utilisent de façon systématique le calotype. Parmi eux se trouve également le calotypiste de la première heure Bayard, mais ce dernier préfère alors utiliser la plaque de verre. Les cinq praticiens sont envoyés dans les régions de France par la Commission afin de dresser l’inventaire des monuments les plus remarquables nécessitant restauration. La Mission héliographique est une étape décisive qui assied l’intérêt documentaire de la photographie mais révèle aussi avec évidence les qualités pratiques et esthétiques du calotype.
Par son peu d’encombrement – le papier étant plus aisé à transporter qu’une plaque de cuivre ou de verre – mais aussi par la qualité de ses contrastes, le rendu des matières et des surfaces, le traitement des profondeurs atmosphériques, la palpitation de la lumière qui affleure sur chaque épreuve, le calotype se révèle remarquablement adapté à la photographie d’architecture, de paysage ou de natures mortes. Il devient naturellement le médium léger et peu coûteux des voyageurs, le précieux auxiliaire d’une génération partie à la découverte de l’Orient rêvé : l’écrivain Maxime Du Camp, ami de Flaubert en compagnie duquel il voyage en Egypte (de 1849 à 1851), l’archéologue Salzmann, qui parcourt la Terre Sainte (en 1853), et l’égyptologue Devéria (en 1859) enregistrent ainsi ce qu’ils espèrent être un témoignage fidèle de ce qu’ils ont vu. Les artistes et les flâneurs s’emparent également du calotype avec enthousiasme ; la sensibilité, la fraîcheur de vision, l’aspiration à une représentation authentique des choses dont font preuve les calotypistes comme Eugène Cuvelier rencontre spontanément celle des peintres paysagistes de Barbizon, qui ont fait de la nature vierge leur sujet de prédilection. Peu à peu, un nouveau langage esthétique se fait jour, ses praticiens ne se lassant d’en découvrir la richesse des nuances et la souplesse d’interprétation.
La vibration qui émane de ces "dessins par la lumière" ne doit pas occulter la lenteur et la minutie avec lesquelles doit se pratiquer le calotype. La raison d’être des cercles d’amateurs qui se forment alors, dont le plus important est la Société héliographique, vient autant du désir de partager une passion commune que de la nécessité d’échanger les dernières recettes et tours de main. La Société héliographique facilite la diffusion du procédé par les échanges qu’elle suscite, lors des réunions qu’elle organise ou par l’entremise de la revue La Lumière, qu’elle publie. La calotypie reste, à l’instar de tout les procédés photographiques avant 1880, un procédé artisanal, abouti tout en étant éminemment perfectible, aux résultats heureusement aléatoires, aux effets modulables, notamment grâce à la possibilité d’effectuer des retouches sur le négatif papier. Cela laisse à celui qui a appris à le manipuler une amplitude d’expression qu’il peut solliciter tout au long des étapes du processus photographique.
 

Déclin
Or, par ses sujets autant que par ses modalités, le calotype ne saura pas s’imposer au-delà d’un cercle éclectique et élitiste, où se côtoient des amateurs venus de l’aristocratie et de la haute bourgeoisie, des scientifiques, des hommes de lettres et des artistes de formation, tous esthètes férus de manipulations chimiques, restés en marge de la pratique commerciale de la photographie au collodion. Parmi eux se croisent aussi des professionnels qui, comme Charles Nègre, Charles Marville ou Henri Le Secq, veillent à ne pas renier leurs ambitions artistiques. Dès 1855, le calotype connaît un certain déclin : fermeture de l’imprimerie photographique par manque de rentabilité devant l’essor des nouvelles techniques d’impression des photographies ; avènement du négatif sur verre au collodion, auquel se convertit la Société héliographique – devenue en 1854 Société française de photographie. Certains praticiens, tels Le Secq en 1856, sont pourtant à ce point attachés aux ramifications artisanales du calotype qu’ils préféreront abandonner la photographie plutôt que d’adopter le collodion, tant ils auraient perdu en souplesse ce qu’ils auraient gagné en rapidité, en temps de pose réduit et en netteté. Après 1855, Le calotype continuera cependant à être employé par les photographes voyageurs, et ce jusqu’au début des années 1860.
De ce moment de grâce subsistera cependant la cohérence d’une vision et d’une technique, intimement liées dans l’esprit de ses praticiens, et dont la qualité de la production est un temps fort de l’histoire de la photographie.