Le cyanotype
  Invention
Le cyanotype a été inventé par l’Anglais John Herschel (1792-1871) en 1842. Astronome, physicien et chimiste, contemporain de William Henry Fox Talbot (1800-1877), l’inventeur du calotype en 1840, Herschel s’intéresse à la photographie dès ses prémices. On lui doit notamment l’invention des termes positif et négatif pour décrire les étapes successives du processus photographique, ainsi que la découverte de l’action fixatrice du thiosulfate de sodium. Herschel est aussi un pionnier dans l’expérimentation de la photographie sur verre. Mais il étudie plus particulièrement l’action de la lumière sur diverses solutions chimiques, dont le jus de certaines fleurs sur lequel elle a un effet décolorant. Le cyanotype est son invention la plus aboutie, annoncée lors d’une conférence prononcée devant la Royal Society de Londres le 16 juin 1842. Le procédé s’appuie sur la sensibilité des sels de fer à la lumière. Cette dernière transforme en effet les sels ferriques en sels ferreux. Une feuille de papier est préalablement enduite au pinceau d’une solution de ferricyanure de potassium et de citrate de fer ammoniacal. La feuille est ensuite séchée puis placée sous un négatif et exposée à la lumière. Se produit alors un jaunissement des sels, par lequel l’image apparaît. Lorsque la feuille est lavée à l’eau claire et à nouveau séchée, le jaune vire à un bleu intense et profond, semblable à un pigment minéral : le bleu de Prusse. L’image positive ainsi obtenue est permanente, c’est-à-dire très résistante à la lumière.
 
  Utilisations
Cette permanence de l’image cyanotypique est un des attraits majeurs du procédé, outre sa simplicité d’utilisation et son faible coût. Herschel se sert du cyanotype comme d’un moyen rapide de faire des copies de ses notes et travaux par contact direct. Au début des années 1840, la botaniste anglaise Anna Atkins (1799-1871), passionnée par la collecte et l’illustration de spécimen végétaux, est instruite des récentes inventions de Talbot et de Herschel, tant par l’intermédiaire de son père, le scientifique John Children, membre de la Royal Society, que grâce à son époux, ami de Talbot. En 1843, elle reprend le procédé de Herschel, dont elle apprécie sans doute la rapidité et la simplicité. Elle dispose les spécimen de plantes séchées et pressées sur le papier sensibilisé et expose l’ensemble directement à la lumière, sans l’intermédiaire d’un appareil de prise de vue. Selon le même principe que les dessins photogéniques de Talbot, l’empreinte de la plante apparaît en clair sur fond sombre, là où l’objet a fait écran à la sensibilisation des sels de fer. Atkins publiera en édition limitée les trois volumes de Photographs of British Algae : Cyanotype Impressions, un recueil de photographies d’algues marines, à la reproduction desquelles le bleu du cyanotype sied remarquablement. Le photographe français Henri Le Secq utilisera le cyanotype comme procédé d’impression photographique dans le courant des années 1850, lors de ses travaux sur les monuments gothiques parisiens. Durant les années 1860, l’entreprise parisienne Marion et Cie crée un papier réservé au cyanotype, qu’elle perfectionnera dans la décennie suivante avec le Papier Ferro-Prussiate. Le cyanotype est alors repris par les architectes et les ingénieurs pour une duplication simple et rapide de leurs plans (bleus d’architecture) et dessins techniques.
 
  Déclin
Mais la couleur bleue du cyanotype, jugée peu naturelle, le prive d’un véritable succès populaire. Il ne sera jamais utilisé comme procédé photographique courant. Au tournant du siècle, le cyanotype connaît cependant un regain d’intérêt chez de nombreux photographes amateurs, qui reconnaissent en lui un moyen simple, pratique et bon marché d’obtenir des épreuves à partir d’un négatif ; on en trouve donc trace dans certains albums de familles. Au début du XXe siècle, les photographes pictorialistes abordent la pratique du cyanotype d’une toute autre manière, adoptant le procédé pour ses qualités esthétiques. En effet, les pictorialistes revendiquent une interprétation en décalage avec la réalité, par opposition aux photographes professionnels, qu’ils jugent trop attachés au rendu minutieux et mécanique des détails. Ils manifestent un vif intérêt pour la couleur, et utilisent pour cela des procédés tels l’autochrome ou les tirages pigmentaires à la gomme bichromatée, ces derniers permettant d’obtenir des effets proches d’un dessin à la sanguine (tirages à la poudre rouge) ou au fusain. Il est donc naturel que certains d’entre eux en aient trouvé une variante dans le cyanotype. L’Américain Paul Burty Haviland (1880-1950), membre du groupe Photo-Secession d’Alfred Stieglitz, avec notamment Clarence White (1871-1925) et Alvin Langdon Coburn (1882-1966), laissera ainsi un certain nombre de cyanotypes, s’étant laissé séduire par la poésie simple et directe de la couleur bleue. Certains amateurs en reconnaissent aussi les avantages esthétiques, tel le comte Robert de Montesquiou (1855-1921), qui à la fin du XIXe siècle produit, entre autres images réunies en albums, des autoportraits au cyanotype où s’exprime un narcissisme débordant : non seulement il apprécie l’aspect décoratif du procédé, mais il l’accentue avec des rehauts d’argent et des enluminures d’arabesques, faisant de ces cyanotypes des icônes destinées au culte de lui-même.
La pratique du cyanotype semble prendre fin aux alentours des années 1930. Cependant, de nombreuses photographies, vues stéréoscopiques et cartes postales photographiques seront particulièrement bien conservées grâce à la permanence du procédé. De ces images émane une poésie particulière, née de ce que la modestie du cyanotype, son caractère direct, n’enlèvent rien à la délicatesse de ses nuances bleutées.