Sélim Nassib
Dans les journaux du monde entier, les articles et les photos ont parlé des affrontements, des destructions, du sang et les ont montrés. La guerre est la guerre. Mais Beyrouth dans l'été 1982 ressemblait beaucoup plus à cette scène irréelle au coin de l'avenue des Français qu'à ce qu'on a raconté.

Peut-être réaliserez-vous seulement au deuxième coup d'œil, ou après avoir refermé le livre, que les images de Reza parlent de ça. Elles contiennent un élément de plus, ou du moins, un détail secret, comme cette forme cachée dans les dessins touffus où le jeu consiste justement à le découvrir.

Cette apparente " imperfection ", le " punctum " comme disait Barthes, la rupture d'une symétrie, l'ombre de la main sur la chaussée d'une femme portant le portrait d'une jeune fille, éclaire soudain l'intention du photographe, l'intelligence de son regard. Je vois la photo apparemment banale de l'avant d'un char israëlien et, quelques pas plus loin, une jeune femme qui marche. D'où vient qu'elle est troublante ? " La forme de l'avant du char épouse précisément celle de la cambrure des reins de la femme ", m'a dit Reza.



J'ai alors recommencé à regarder les photos avec cet œil-là. Le premier niveau - images de la guerre du Liban - s'est effrité comme les murailles du Jericho, pour laisser place à un autre, dans lequel le conflit n'est plus qu'un autre, qu'un prétexte, loupe, lunette grossissante.

Je vois des hommes et des femmes qui souffrent et qui vivent, et n'ont le loisir de vivre ni dans le passé ni dans l'avenir ; je vois des enfants qui ne pleurent plus parce qu'ils ont compris que ça ne sert à rien ; des correspondances insoupçonnées entre les formes, les regards, les lignes ; je vois soubassements humains mis à jour, à nu, à vif, par le feu de la guerre.

La vision qui s'est offerte aux yeux de Reza et de ses camarades était sans doute trop insupportable pour être gardée par un homme tout seul. C'est peut-être pour cette raison après tout qu'il était prêt à n'importe quoi afin de faire partager à d'autres le spectacle du pays ou l'enfer voisine avec le paradis.

Extait du livre Paix en Galilée