Les Mouches (1943)
    Drame en trois actes. Création à Paris, théâtre de la Cité [Sarah-Bernhardt], le 3 juin 1943. Mise en scène Charles Dullin, décors et costumes Henri-Georges Adam, musique Jacques Besse. Avec Charles Dullin (Jupiter), Jean Lannier (Oreste), H. Norbert (Égisthe), Olga Dominique (Électre), Delia-Col (Clytemnestre), Paul Oettly (le grand prêtre) et Lucien Arnaud, Marcel d'Orval, Bender.
   
 
   
    Au cours d'un spectacle présenté au stade Roland-Garros les 5 et 6 juillet 1941 par Jean-Louis Barrault, intitulé Théâtre-Musique-Sport et qui comprenait Les Suppliantes d'Eschyle, Sartre, encouragé par des proches et surtout par Olga Kosakiewicz, conçut un projet de pièce. En octobre 1941, "il s'attela opiniâtrement à la pièce qu'il avait commencée : elle représentait l'unique forme de résistance qui lui fût accessible" (Les Écrits de Sartre). Des vacances en Grèce avec Simone de Beauvoir pendant l'été 1937, avec le souvenir du village d'Embrosio, inspireront le décor des Mouches. "J'ai voulu traiter de la tragédie de la liberté en opposition avec la tragédie de la fatalité." (Comodia, 24 avril 1943.)
   
Dans de nombreuses déclarations et interviews des années 1950, Jean-Paul Sartre a rendu hommage à Dullin pour avoir fait confiance à un auteur inconnu et avoir eu le courage de monter une pièce politique dont le but était d' "extirper quelque peu cette maladie du repentir, cet abandon à la honte qu'on sollicitait de nous" (La Croix, 20 janvier 1951). Il se sentait redevable du tact avec lequel Dullin, en s'adressant aux acteurs plutôt qu'à lui directement, lui avait fait comprendre qu'une pièce devait être le contraire d'une "orgie d'éloquence".
Dans le grand vaisseau de la salle du théâtre Sarah-Bernhardt, la pièce essuya un relatif échec, malgré des critiques qui, comme Maurice Rostand, reconnaissaient "un ouvrage exceptionnel, par l'ampleur du développement, la puissance cosmique, la résonance métaphysique. Les Mouches de Jean-Paul Sartre nous bourdonnent une fois de plus les malheurs des Atrides [.]. L'œuvre est presque trop riche de significations et de symboles [.]. Je sais tout ce que l'on pourra dire et les plaisanteries dont il est trop facile d'abreuver la grandeur. La mise en scène a l'allure, la puissance, le climat irrespirables de l'œuvre. C'est une Grèce vue à travers l'angoisse moderne" (Paris-Midi, 7 juin 1943). Le sens politique de la pièce échappa aux critiques de la Collaboration et le reste de la presse se montra franchement hostile : "L'Électre de Giraudoux repensée par un dadaïste ou un surréaliste attardé" (André Castelot, La Gerbe, 17 juin 1943) ; "Érinnyes, matérialisées en mouches", expliqua Charles Méré dans Aujourd'hui (12 juin 1943), qui conseillait quand même : "Allez voir cette étonnante pièce, elle vaut le voyage." Vingt-cinq représentations eurent lieu, avant une reprise à l'automne 1943.
  
    Sartre aura l'occasion de manifester sa gratitude à Dullin lorsque le Conseil de Paris voudra lui retirer son théâtre : "Je connais Dullin depuis vingt ans. Je n'ai jamais cessé d'admirer son talent, son intelligence, sa probité, son courage. C'est par lui que je suis venu au théâtre. C'est lui qui m'a conseillé à mes débuts, lui qui a monté ma première pièce, Les Mouches, ouvrage imparfait et très violemment attaqué, qui fut un insuccès financier malgré une magnifique mise en scène. Dullin a soutenu la pièce près d'un an contre la critique, contre le conseil municipal, contre les Allemands, il n'a rien retiré de son effort que des dettes et de la boue." (Combat, 24 mai 1947.) Il marquera encore toute sa reconnaissance à Dullin dans une longue déclaration au moment de sa disparition.