Ludovico Wolfgang Hart associé à
Charles Lallemand et Varroquier
(actifs vers 1863-1864)

par Sylvie Aubenas

 

Une belle série de quarante et une effigies déposée à la Bibliothèque impériale en 1866 par le marchand français Varroquier serait, d'après Nissan Perez, l'œuvre de l'Anglais Ludovico Wolfgang Hart. On y trouve aussi bien des Syriens que des Égyptiens, des juifs, des prêtres maronites, des scènes de genre prises sur le motif. L'ensemble a un aspect beaucoup plus authentique que d'autres séries comparables et évoque des portraits bien plutôt que la galerie habituelle de "types" pour laquelle on a recours à des figurants locaux. Prises en Égypte et en Syrie en 1863-1864, ces vues résultent d'un projet formé par Hart, militaire et photographe, et par Charles Lallemand, dessinateur et journaliste : celui d'une Galerie universelle des peuples, qui vit le jour en 1865. L'introduction de l'ouvrage annonce l'intention des auteurs : "Reproduire grâce à la photographie les costumes nationaux qui disparaissent rapidement devant les progrès de la civilisation, pour préserver pour les artistes la mémoire de ce qui était beau et pittoresque." Hart était le photographe, Lallemand le rédacteur et Varroquier le diffuseur à Paris d'une série annoncée comme devant comporter cent photographies, mais l'ensemble conservé est bien inférieur en nombre.

La démarche des associés est scientifique, ethnologique, guidée par le souci de garder la trace d'un monde qui disparaît. C'est une préoccupation répandue, dès l'origine de la photographie, dans les domaines de l'architecture, de la sculpture, des beaux-arts en général. Mais dans l'histoire du costume et de l'ornement, la date de 1863 est au contraire très précoce et permet de mieux comprendre l'originalité esthétique de ces photographies qui se démarquent radicalement de la production commerciale contemporaine. La référence à une clientèle d'artistes n'a rien pour étonner, mais il est peu fréquent qu'elle soit indiquée aussi clairement.

Hart a de rares qualités de photographe : ses Nubiens de la première cataracte sont à la fois hiératiques et naturels, à l'opposé des portraits d'un artifice embarrassant qui sortirent d'ateliers comme ceux de Sebah ou Zangaki. Il est à noter que ses photographies ont été acquises en particulier par Bartholdi et que l'une d'entre elles, le Guerrier nubien, a été transposée sur toile par le peintre Eugène Pavy.