|
|
|
Mon cher ami,
Après
le plaisir de voyager, le plus grand est de raconter ses voyages ;
mais le plaisir de celui qui raconte est rarement partagé
par celui qui écoute ou qui lit. Aujourd'hui nul pays n'est
nouveau, tout le monde a été partout, et il faut avoir
autant de confiance que j'en ai dans votre amitié pour oser
vous adresser le récit d'une course en Ionie et en Lydie.
Je n'ai qu'une excuse : cette course dans un pays un peu moins
connu que l'Italie et la Grèce m'a intéressé
vivement ; ce n'est pas une raison pour que mon récit intéresse
les autres, mais c'en est une pour moi de chercher à communiquer
à un ami le plaisir que j'ai éprouvé, et de
ne pas lui dérober sa part, comme dirait Montaigne.
Ayant ainsi fait la paix avec ma conscience, qui murmurait un peu
quand j'ai pris la plume pour écrire des impressions de
voyage, je cède à la tentation, aux mauvais exemples,
et je commence mon odyssée, qui ne sera pas longue, heureusement.
Ayant
une quinzaine de jours devant nous, Mérimée et moi,
nous formâmes le projet d'aller de Smyrne à Éphèse,
de pousser jusqu'à Magnésie sur le Méandre,
où les ruines du temple ionique de Diane offraient une tentation
puissante à notre ami, grand amateur et vrai connaisseur
en fait d'architecture hellénique, puis de gagner Sardes,
où il y avait encore des chapiteaux ioniques à voir,
et de revenir de Sardes à Smyrne.
Ce voyage, qui n'est pas
considérable, avait bien pour nous ses difficultés ;
nous ne trouvions personne à Smyrne qui fût allé
directement de Magnésie à Sardes ; les guides
qui connaissaient le chemin étaient absents ou malades ;
le seul que put nous procurer l'infatigable obligeance de M. le
baron de Nerciat n'était jamais allé plus loin qu'Éphèse.
Ce guide nous fut recommandé comme Français, mais
il n'avait de français que le nom, Marchand, comme le valet
de chambre de Napoléon : du reste, une étrange
figure qui tenait du juif, du Turc et du nègre ; parlant
fort bien le turc et le grec, mais le français très
peu. Force nous fut de nous mettre en route avec ce singulier personnage
et le postillon turc Ahmet, qui, lui non plus, n'avait jamais entendu
parler de Sardes. Nous voilà donc partis à la grâce
de Dieu, pour faire une centaine de lieues dans un pays dont nous
ne connaissions pas la langue, avec des guides qui ne connaissaient
pas le chemin.
lire la suite sur Gallica
|