Gustave Flaubert, Voyage en Orient, publié en 1948
  La route tourne à gauche, nous descendons ; les montagnes calcaires entourant cette plaine rappellent le Mokattam. Le ciel est tout chargé de nuages, l'air humide, on sent la mer, nos vêtements sont pénétrés de moiteur. Je désire ardemment être arrivé, comme toutes les fois que je touche à un but quelconque : en toute chose j'ai de la patience jusqu'à l'antichambre. Quelques gouttes de pluie. Une heure après avoir quitté le puits, nous arrivons dans un endroit plein de roseaux et de hautes herbes marécageuses ; des dromadaires et des ânes sont au milieu, mangeant et se gaudissant ; de nombreux petits cours d'eau épandus coulent à terre sous les herbes, et déposent sur la terre beaucoup de sel ; c'est EI-Ambedja (endroit où il y a de l'eau). Les montagnes s'abaissent, on tourne à droite. Pan de rocher rougeâtre, à gauche, à l'entrée du val élargi qui vous conduit, d'abord sur des cailloux, ensuite sur du sable, jusqu'à Kosséir. Dans mon impatience je vais à pied, courant sur les cailloux et gravissant les monticules pour découvrir plus vite la mer. Dans combien d'autres impatiences aussi inutiles n'ai-je pas tant de fois déjà rongé mon cœur ! Enfin j'aperçois la ligne brune de la mer Rouge, sur la ligne grise du ciel. C'est la mer Rouge !
Je remonte à chameau, le sable nous conduit jusqu'à Kosséir. On dirait que le sable de la mer a été poussé là par le vent, dans ce large val ; c'est comme le lit abandonné d'un golfe. De loin on voit les mâts de l'avant des vaisseaux, qui sont désarmés, comme ceux du Nil. On tourne à gauche. Sur de petites dunes de sable voltigent et sont posés des oiseaux de proie. La mer et les bâtiments à droite ; Kosséir en face, avec ses maisons blanches. À droite, avant de tourner, quelques palmiers entourés de murs blancs : c'est un jardin. Comme cela fait du bien aux yeux !


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