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L'auteur, en écrivant ces trois
gros volumes, avait un but... il en avait même deux :
faire partager à ses amis les vives jouissances qu'il éprouvait
lui-même ; désennuyer honnêtement son
prochain.
Ce dernier but est plus sérieux
qu'il ne semble : l'ennui est profondément immoral ;
il est le père de beaucoup de vices ;
qui sait si nous ne lui devons pas les commotions qui bouleversent
l'Europe.
Grande ambition, que celle de désennuyer !
aussi, l'auteur ne s'adresse pas aux esprits difficiles ; ceux-là
s'ennuient souvent il est vrai, mais sont-ils amusables ? – L'auteur
s'adresse aux esprits simples ; par malheur, ceux-là
ne s'ennuient presque jamais. De sorte que les trois gros volumes
en question courent grand risque de faire leur chemin dans le monde,
sous les auspices de l'épicier du coin.
Autre chance ! – Il s'agit
bien d'ennui, maintenant ! Les secousses politiques, les révolutions
sociales nous laissent-elles le temps de respirer ! Notre âme
travaillée, a-t-elle une pensée pour ce qui n'est
pas événement ? Est-ce quand des questions
de vie et de mort s'agitent tous les jours dans nos rues ;
est-ce quand le présent nous attriste, quand l'avenir nous
épouvante, qu'il faut venir nous parler de pyramides, et
de chameaux, et de Bédouins, et d'indépendante existence
dans le désert ?
– Peut-être. – Ce qui
fait le charme de la pâle primevère de mars, n'est-ce
pas la neige de février ? – Qui sait si l'espoir
de rencontrer quelques scènes paisibles, quelque reflet de
la sérénité des lieux où se lève
le soleil ; un monde, des hommes, des mœurs, des impressions
très différentes de notre vieux monde et de nos vieilles
impressions n'attirera pas un. deux. trois lecteurs, vers ces pages
qui osent s'épanouir presqu'au milieu de l'émeute !
Ce journal... est un journal. C'est-à-dire
qu'il a tous les inconvénients du genre. Il manque de vues
d'ensemble, souvent de perspective ; il ressemble un peu à
un tableau qui n'aurait que le premier plan ; encore plus peut-être
à un paravent chinois. Il est subjectif. L'auteur y succombe,
sans le vouloir, à la tentation de parler de lui ; et,
sans le vouloir encore, à celle de se peindre en beau. Malgré
ses bonnes intentions, et il en avait beaucoup, l'auteur sent bien
qu'il s'est cogné contre tous les écueils.
Pourquoi publier, alors ? Hélas,
parce que ce journal est un projet chéri, qui a coûté
quelques peines, quelques fatigues. II fallait du courage, pour
s'armer d'une écritoire après dix heures de chameau,
pour écrire au vent, au soleil, au sable !
Et puis, faut-il le dire ? lorsqu'on pense beaucoup de
mal de soi, ou de ses œuvres... on espère toujours se tromper
un peu.
– Mais trois volumes !
TROIS VOLUMES !
– Eh bien oui ! trois volumes !
– Voici la raison de l'auteur. II aurait bien voulu ne donner
à ses amis que des fragments choisis, empreints d'un cachet
d'originalité, que des pages coulées en bronze !
malheureusement, ne coule pas en bronze qui veut ; et,
en relisant son journal, le pauvre auteur n'a pas trouvé
un seul de ces morceaux-là. Ne pouvant choisir, il donne
tout. – D'ailleurs, choses et gens gagnent plus qu'on ne pense à rester dans leur caractère ; ils ne valent même
qu'autant qu'ils y restent. Un journal, il est vrai, n'est pas dramatique,
n'est pas lyrique, n'est pas politique... ou rarement, n'est pas
philosophique... et c'est grand dommage ; mais c'est un
journal, il faut en revenir là. C'est une page de la
vie ; c'est vous, c'est moi, et d'autres encore ; c'est
cet horizon lointain, et c'est ce détail ici tout près ;
et si ce n'est pas cela, cela ne vaut rien. – Cet endroit vous ennuie,
vous le trouvez languissant, il vous fait bâiller... eh !
c'est justement cet endroit-là qui est le plus vrai ;
c'est celui-là peut-être, qui vous fait le mieux
comprendre ce que vous éprouveriez en face de ces aspects
désolés, au milieu de cette pente rocailleuse, dans
ce méchant taudis ; de façon que, le genre admis,
vous devez une égale reconnaissance à l'auteur, quand
il vous assomme et quand il vous amuse. Voilà pourquoi l'auteur
s'est arrêté au mode journal. – II avait
bien encore un motif : sa parfaite incapacité à en
prendre un autre.
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