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Ce soir,
par un clair de lune splendide qui se réverbérait
sur la mer de Marmara et jusque sur les lignes violettes des neiges
éternelles du mont Olympe, je me suis assis seul sous les
cyprès de l'échelle des morts, ces cyprès qui
ombragent les innombrables tombeaux des musulmans, et qui descendent
des hauteurs de Péra jusqu'aux bords de la mer ; ils
sont entrecoupés de quelques sentiers plus ou moins rapides,
qui montent du port de Constantinople à la mosquée
des derviches tourneurs. Personne n'y passait à cette heure,
et l'on se serait cru à cent lieues d'une grande ville, si
les mille bruits du soir, apportés par le vent, n'étaient
venus mourir dans les rameaux frémissants des cyprès.
Tous ces bruits, affaiblis déjà par l'heure avancée ;
chants de matelots sur les navires, coups de rames des caïques
dans les eaux, sons des instruments sauvages des Bulgares, tambours
des casernes et des arsenaux ; voix de femmes qui chantent,
pour endormir leurs enfants, à leurs fenêtres grillées ;
longs murmures des rues populeuses et des bazars de Galata ;
de temps en temps le cri des muezzins du haut des minarets, ou un
coup de canon, signal de la retraite, qui partait de la flotte mouillée
à l'entrée du Bosphore, et venait, répercuté
par les mosquées sonores et par les collines, s'engouffrer
dans le bassin de la Corne d'Or, et retentir sous les saules paisibles
des eaux douces d'Europe ; tous ces bruits, dis-je, se fondaient
par instants dans un seul bourdonnement sourd et indécis,
et formaient comme une harmonieuse musique où les bruits
humains, la respiration étouffée d'une grande ville
qui s'endort, se mêlaient, sans qu'on pût les distinguer,
avec les bruits de la nature, le retentissement lointain des vagues,
et les bouffées du vent qui courbaient les cimes aiguës
des cyprès. C'est une de ces impressions les plus infinies
et les plus pesantes qu'une âme poétique puisse supporter.
Tout s'y mêle, l'homme et Dieu, la nature et la société,
l'agitation intérieure et le repos mélancolique de
la pensée. On ne sait si on participe davantage de ce grand
mouvement d'êtres animés qui jouissent ou qui souffrent
dans ce tumulte de voix qui s'élèvent, ou de cette
paix nocturne des éléments qui murmurent aussi, et
enlèvent l'âme au-dessus des villes et des empires,
dans la sympathie de la nature de Dieu.
Le sérail,
vaste presqu'île, noire de ses platanes et de ses cyprès,
s'avançait comme un cap de forêts entre les deux mers,
sous mes yeux. La lune blanchissait les nombreux kiosques, et les
vieilles murailles du palais d'Amurath sortaient, comme un rocher,
du vert obscur des platanes. J'avais sous les yeux et dans la pensée
toute la scène où tant de drames sinistres ou glorieux
s'étaient déroulés depuis des siècles. Tous ces drames apparaissaient devant moi avec leurs personnages
et leurs traces de sang ou de gloire.
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