Un retour aux sources
par Cécile Cayol
 

"La grande surprise et le grand bienfait de chaque journée de voyage en Orient, c'est de nous mettre en contact avec les choses et les hommes d'autrefois, qui se sont à peine modifiés. Il n'est de parcourir cette terre pour la voir s'éclairer d'une lumière inespérée. Le présent immobile nous fournit la clé du passé, les lieux nous aident à saisir la légende […] dans cette voie féconde, l'immuable Orient sera toujours le grand initiateur."
 

Eugène Melchior de Vogüé, Voyage aux pays du passé

 
 

Il faut distinguer le "Voyage en Orient", périple romantique pour intellectuels nostalgiques, du voyage scientifique. Au siècle des grandes inventions, de la foi dans le progrès et des conquêtes coloniales, l'Orient est une mine d'explorations pour les Occidentaux. Ainsi, des savants comme Champollion ou Mariette, pour ne citer que les plus connus, des spécialistes de toutes disciplines, procèdent à un vaste inventaire scientifique de l'Orient, tant hydrographique, climatique, botanique, zoologique, minéralogique qu'archéologique et sociologique. Ces aventuriers du savoir procèdent à tâtons, poursuivant leurs investigations au hasard des découvertes.

 

Ils sont en général accompagnés de photographes dont le seul souci est de rendre compte de l'état des recherches. Les artistes ont une approche différente : leur voyage en Orient est à l'inverse balisé, selon un itinéraire bien précis, initié par les romantiques. Le parcours idéal, effectué en 1849-1850 par Gustave Flaubert et Maxime Du Camp, qui va d'Alexandrie jusqu'en Italie en passant par la Palestine, le Liban, la Syrie et Constantinople, est plus une quête de soi, nourrie des fantasmes collectifs et d'un syncrétisme mystique, qu'une quête hasardeuse à la découverte de l'Autre : il s'agit de retrouver dans la permanence des mœurs orientales une authenticité perdue et dans les lieux mythiques le berceau de la civilisation occidentale.

 
 
 

Qu'ils soient écrivains, peintres ou photographes, c'est une part d'eux-mêmes qu'ils vont chercher, la réponse au questionnement des origines : le "Voyage en Orient", c'est le retour aux sources, vers "notre berceau cosmogonique et intellectuel" (Nerval). De Noël en Égypte à Pâques à Jérusalem, au rythme des saisons, les voyageurs se fixent des étapes initiatiques pour accéder au paradis perdu, affichant une indifférence parfois méprisante à l'égard des autochtones musulmans.

     
   
     
 
 
  Sans qu'ils en aient vraiment conscience, leur périple va dans le même sens que la grande entreprise de colonisation politique et commerciale. Comme si, forts de leur supériorité présumée, ils repartaient en croisade – qu'elle soit archéologique, mystique, initiatique, artistique ou tout cela à la fois – pour reconquérir la "terre maternelle". Cependant, l'ouverture du canal de Suez, en 1869, en ouvrant les vannes de la modernité, des échanges et du commerce, annonce la fin du rêve oriental. Les nostalgiques de l'Orient prennent trop tard conscience de l'irrémédiable décadence engendrée par l'essor du capitalisme.