L'orientalisme photographique et pictural :
un jeu subtil de miroirs

par Cécile Cayol
 
 

En ayant comme objectif de rendre compte d'un Orient authentique, les premiers photographes s'exposent d'emblée à une comparaison défavorable avec la vision subjective qu'en donnent les peintres orientalistes. Ceux-là surtout, qui entendent restituer le choc de la lumière et des couleurs, ne peuvent qu'être affligés par la monochromie propre à la photographie naissante. Certains photographes, notamment les "photographes résidants", à la fois alléchés par les perspectives commerciales et influencés par la mode, vont, à leur tour, "orientaliser" l'Orient : à partir des années 1860, on voit naître un Orient de cartes postales avec des paysages pittoresques à forte connotation littéraire (ruines romantiques, cyprès, fontaines) et des scènes "de genre" (personnages posant pour leur costume, leur posture ou leur type physique).

 
  Les studios deviennent le lieu privilégié où l'on photographie les scènes les plus typiques, grâce à l'artifice de multiples accessoires : tapis, tentures, narguilés, sofas, etc. On peut lire ainsi sur l'enseigne de Félix Bonfils : "Photographies de Bonfils – Curiosités de tout l'Orient". Il s'agit de rendre la réalité plus "photogénique", plus conforme à l'attente du public, de camoufler la misère et de redorer les sérails. On fait prendre la pose aux mendiants, aux derviches tourneurs et aux danseuses du harem. En transformant les jeunes filles locales en princesses des Mille et Une Nuits, la photographie "suggestive" répond aux fantasmes érotiques d'une Europe imprégnée de pudibonderie victorienne.

     
       
 
  La peinture va cependant connaître un cheminement contraire : après une phase d'un romantisme exacerbé, les peintres, influencés par les notes et les photos des pionniers, se font plus observateurs et plus objectifs. Certains, soucieux de dépeindre au mieux la réalité, se feront photographes amateurs, pour reprendre leurs esquisses dans le calme de leur atelier. Mais suivant ce principe de chassé-croisé, les scènes de genre orientalistes, peintes à la commande, vont être directement inspirées par les clichés réalisés en studio. À la fin du siècle, alors que s'épuise la veine de l'orientalisme pictural, les relations qu'entretiennent peinture et photographie se relâchent. Les artistes se tournent dorénavant vers un autre Orient, encore inexploré, plus "extrême", celui de la Chine ou du Japon.