Nous perdrons quelques centimes sur l'article, je le veux bien. Apres
? le beau malheur, si nous attirons toutes les femmes et si nous les
tenons à notre merci, séduites, affolées devant
l'entassement de nos marchandises, vidant leur porte-monnaie sans compter
! Le tout, mon cher, est de les allumer, et il faut pour cela un article
qui flatte, qui fasse époque. Ensuite, vous pouvez vendre les
autres articles aussi cher qu'ailleurs, elles croiront les payer chez
vous meilleur marché. Par exemple, notre Cuir-d'Or, ce taffetas
à sept francs cinquante qui se vend partout ce prix, va passer
également pour une occasion extraordinaire, et suffira à
combler la perte du Paris-Bonheur
Vous verrez, vous verrez !
(Extrait du chapitre II)
Alors, plus haut que les faits déjà donnés, au
sommet, apparut l'exploitation de la femme. Tout y aboutissait, le capital
sans cesse renouvelé, le système de l'entassement des
marchandises, le bon marché qui attire, la marque en chiffres
connus qui tranquillise. C'était la femme que les magasins se
disputaient par la concurrence, la femme qu'ils prenaient au continuel
piège de leurs occasions, après l'avoir étourdie
devant leurs étalages. Ils avaient éveillé dans
sa chair de nouveaux désirs, ils étaient une tentation
immense, où elle succombait fatalement, cédant d'abord
à des achats de bonne ménagère, puis gagnée
par la coquetterie, puis dévorée. En décuplant
la vente, en démocratisant le luxe, ils devenaient un terrible
agent de dépense, ravageaient les ménages, travaillaient
au coup de folie de la mode, toujours plus chère. Et si, chez
eux, la femme était reine, adulée et flattée dans
ses faiblesses, entourée de prévenances, elle y régnait
en reine amoureuse, dont les sujets trafiquent, et qui paye d'une goutte
de son sang chacun de ses caprices. Sous la grâce même de
sa galanterie, Mouret laissait ainsi passer la brutalité d'un
juif vendant de la femme à la livre : il lui élevait un
temple, la faisait encenser par une légion de commis, créait
le rite d'un culte nouveau ; il ne pensait qu'à elle, cherchait
sans relâche à imaginer des séductions plus grandes
; et, derrière elle, quand il lui avait vidé la poche
et détraqué les nerfs, il était plein du secret
mépris de l'homme auquel une maîtresse vient de faire la
bêtise de se donner.
- Ayez donc les femmes, dit-il tout bas au baron, en riant d'un rire
hardi, vous vendrez le monde !
(Extrait du chapitre III)
|