Et
la merveille, l'autel de cette religion du blanc, était, au-dessus
du comptoir des soieries, dans le grand hall, une tente faite de rideaux
blancs, qui descendaient du vitrage. Les mousselines, les gazes, les
guipures d'art, coulaient à flots légers, pendant que
des tulles brodés, très riches, et des pièces de
soie orientale, lamées d'argent, servaient de fond à cette
décoration géante, qui tenait du tabernacle, et de l'alcôve.
On aurait dit un grand lit blanc, dont l'énormité virginale
attendait, comme dans les légendes, la princesse blanche, celle
qui devait venir un jour, toute puissante, avec le voile blanc des épousées.
- Oh ! extraordinaire ! répétaient ces dames. Inouï
! Elles ne se lassaient pas de cette chanson du blanc, que chantaient
les étoffes de la maison entière. Mouret n'avait encore
rien fait de plus vaste, c'était le coup de génie de son
art de l'étalage. Sous l'écroulement de ces blancheurs,
dans l'apparent désordre des tissus, tombés comme au hasard
des cases éventrées, il y avait une phrase harmonique,
le blanc suivi et développé dans tous ses tons, qui naissait,
grandissait, s'épanouissait, avec l'orchestration compliquée
d'une fugue de maître, dont le développement continu emporte
les âmes d'un vol sans cesse élargi. Rien que du blanc,
et jamais le même blanc, tous les blancs, s'enlevant les uns sur
les autres, s'opposant, se complétant, arrivant à l'éclat
même de la lumière. Cela partait des blancs mats du calicot
et de la toile, des blancs sourds de la flanelle et du drap ; puis,
venaient les velours, les soies, les satins, une gamme montante, le
blanc peu à peu allumé, finissant en petites flammes aux
cassures des plis ; et le blanc s'envolait avec la transparence des
rideaux, devenait de la clarté libre avec les mousselines, les
guipures, les dentelles, les tulles surtout, si légers, qu'ils
étaient comme la note extrême et perdue ; tandis que l'argent
des pièces de soie orientale chantait le plus haut, au fond de
l'alcôve géante.
(Extrait du chapitre XIV)
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