C'était mieux qu'un chef de rayon, c'était Octave Mouret
en personne. Il n'avait pas dormi, cette nuit-là, car au sortir
d'une soirée chez un agent de change, il était allé
souper avec un ami et deux femmes, ramassées dans les coulisses
d'un petit théâtre. Son paletot boutonné cachait
son habit et sa cravate blanche. Vivement, il monta chez lui, se débarbouilla,
se changea ; et, quand il vint s'asseoir devant son bureau, dans son
cabinet de l'entresol, il était solide, l'il vif, la peau
fraîche, tout à la besogne, comme s'il eût passé
dix heures au lit.
(Extrait du chapitre II)
Bourdoncle, fils d'un fermier pauvre des environs de Limoges, avait
débuté jadis au Bonheur des Dames, en même temps
que Mouret, lorsque le magasin occupait l'angle de la place Gaillon.
Très intelligent, très actif, il semblait alors devoir
supplanter aisément son camarade, moins sérieux, et qui
avait toutes sortes de fuites, une apparente étourderie, des
histoires de femme inquiétantes ; mais il n'apportait pas le
coup de génie de ce Provençal passionné, ni son
audace, ni sa grâce victorieuse. D'ailleurs, par un instinct d'homme
sage, il s'était incliné devant lui, obéissant,
et cela sans lutte, dès le commencement. Lorsque Mouret avait
conseillé à ses commis de mettre leur argent dans la maison,
Bourdoncle s'était exécuté un des premiers, lui
confiant même l'héritage inattendu d'une tante ; et, peu
à peu, après avoir passé par tous les grades, vendeur,
puis second, puis chef de comptoir à la soie, il était
devenu un des lieutenants du patron, le plus cher et le plus écouté,
un des six intéressés qui aidaient celui-ci à gouverner
le Bonheur des Dames, quelque chose comme un conseil de ministres sous
un roi absolu. Chacun d'eux veillait sur une province. Bourdoncle était
chargé de la surveillance générale.
(Extrait du chapitre II)
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