Mme Marty ou l'achat compulsif : ouverture

 

 

 

 

Cependant, leurs yeux ne quittaient pas la porte, elles étaient prises et emportées dans le vent de la foule.
– Non, non, je n'entre pas, j'ai peur, murmura madame de Boves. Blanche, allons-nous-en, nous serions broyées.
Mais sa voix faiblissait, elle cédait peu à peu au désir d'entrer où entre le monde ; et sa crainte se fondait dans l'attrait irrésistible de l'écrasement. Madame Marty s'était aussi abandonnée. Elle répétait :
– Tiens ma robe, Valentine... Ah ! bien, je n'ai jamais vu ça. On vous porte. Qu'est-ce que ça va être, à l'intérieur ! Ces dames, saisies par le courant, ne pouvaient plus reculer.
Comme les fleuves tirent à eux les eaux errantes d'une vallée, il semblait que le flot des clientes, coulant à plein vestibule, buvait les passants de la rue, aspirait la population des quatre coins de Paris. Elles n'avançaient que très lentement, serrées à perdre haleine, tenues debout par des épaules et des ventres, dont elles sentaient la molle chaleur ; et leur désir satisfait jouissait de cette approche pénible, qui fouettait davantage leur curiosité. C'était un pêle-mêle de dames vêtues de soie, de petites bourgeoises à robes pauvres, de filles en cheveux, toutes soulevées, enfiévrées de la même passion. Quelques hommes, noyés sous les corsages débordants, jetaient des regards inquiets autour d'eux. Une nourrice, au plus épais, levait très haut son poupon, qui riait d'aise. Et, seule, une femme maigre se fâchait, éclatant en paroles mauvaises, accusant une voisine de lui entrer dans le corps.
– Je crois bien que mon jupon va y rester, répétait madame de Boves.
Muette, le visage encore frais du grand air, madame Marty se haussait pour voir avant les autres, par-dessus les têtes, s'élargir les profondeurs des magasins. Les pupilles de ses yeux gris étaient minces comme celles d'une chatte arrivant du plein jour ; et elle avait la chair reposée, le regard clair d'une personne qui s'éveille.

 

 

Au Bonheur des dames, chap. IX