– On doit rudement vous voler, murmura Vallagnosc, qui trouvait
à la foule des airs criminels.
Mouret avait ouvert les bras tout grands.
– Mon cher, ça dépasse l'imagination.
Et, nerveusement, enchanté d'avoir un sujet, il donnait des détails
intarissables, racontait des faits, en tirait un classement. D'abord,
il citait les voleuses de profession, celles qui faisaient le moins de
mal, car Ia police les connaissait presque toutes. Puis, venaient les
voleuses par manie, une perversion du désir, une névrose
nouvelle qu'un aliéniste avait classée, en y constatant
le résultat aigu de la tentation exercée par les grands
magasins. Enfin, il y avait les femmes enceintes, dont les vols se spécialisaient
: ainsi, chez une d'elles, le commissaire de police avait découvert
deux cent quarante-huit paires de gants roses, volées dans tous
les comptoirs de Paris. – C'est donc ça que les femmes ont
ici des yeux si drôles ! murmurait Vallagnosc. Je les regardais,
avec leurs mines gourmandes et honteuses de créatures en folie…
Une jolie école d'honnêteté !
–Dame ! répondit Mouret, on a beau les mettre chez elles,
on ne peut pourtant pas leur laisser emporter les marchandises sous leurs
manteaux… Et des personnes très distInguées.
Nous avons eu, la semaine dernière, la sœur d'un pharmacien
et la femme d'un conseiller à la Cour. On tâche d'arranger
cela.
Il s'interrompit pour montrer l'inspecteur Jouve qui précisément
filait une femme enceinte, en bas, au comptoir des rubans. Cette femme,
dont le ventre énorme souffrait beaucoup des poussées du
public, était accompagnée d'une amie, chargée de
la défendre sans doute contre les chocs trop rudes ; et, chaque
fois qu'elle s'arrêtait devant un rayon, Jouve ne la quittait plus
des yeux, tandis que l'amie, près d'elle, fouillait à son
aise au fond des casiers.
– Oh ! il la pincera, reprit Mouret, il connaît toutes leurs
inventions.
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