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Ses mains tremblaient, elle suppliait en riant madame Desforges de
l'empêcher de dépenser davantage, lorsque la rencontre de
madame Guibal lui apporta une excuse. C'était au rayon des tapis,
celle-ci venait enfin de monter rendre tout un achat de portières d'Orient,
fait par elle depuis cinq jours ! et elle causait, debout devant
le vendeur, un grand gaillard, dont les bras de lutteur remuaient, du
matin au soir, des charges à tuer un buf. Naturellement,
il était consterné par ce "rendu", qui lui enlevait
son tant pour cent. Aussi tâchait-il d'embarrasser la cliente, flairant
quelque aventure louche, sans doute un bal donné avec les portières,
prises au Bonheur, puis renvoyées, afin d'éviter une location
chez un tapissier ; il savait que cela se faisait parfois, dans la
bourgeoisie économe. Madame devait avoir une raison pour les rendre ;
si c'étaient les dessins ou les couleurs qui n'allaient pas à
madame, il lui montrerait autre chose, il avait un assortiment très
complet. A toutes ces insinuations, madame Guibal répondait tranquillement,
de son air assuré de femme reine, que les portières ne lui
plaisaient plus, sans daigner ajouter une explication. Elle refusa d'en
voir d'autres, et il dut s'incliner, car les vendeurs avaient ordre de
reprendre les marchandises, même s'ils s'apercevaient qu'on s'en
fût servi.
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Au Bonheur des dames, chap. IX |
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