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Mme Campardon, qui semblait ne pouvoir rester longtemps debout sans
fatigue, s'était assise sur une haute chaise à dessiner,
les jambes allongées dans son peignoir ; et lui, approchant
un siège bas, levait la tête pour lui parler, de son air
d'adoration habituel. Avec ses larges épaules, il était
femme, il avait un sens des femmes qui, tout de suite, le mettait dans
leur cur. Aussi, au bout de dix minutes, tous deux causaient-ils
déjà comme de vieilles amies.
Me voilà donc votre pensionnaire ? disait-il en passant
sur sa barbe une main belle, aux ongles correctement taillés. Nous
ferons bon ménage, vous verrez... Que vous avez été
charmante, de vous souvenir du gamin de Plassans et de vous occuper de
tout, au premier mot !
Mais elle se défendait.
Non, ne me remerciez pas. Je suis bien trop paresseuse, je ne bouge
plus. C'est Achille qui a tout arrangé... Et, d'ailleurs, ne suffisait-il
pas que ma mère nous confiât votre désir de prendre
pension dans une famille, pour que nous songions à vous ouvrir
notre maison ? Vous ne tomberez pas chez des étrangers, et
cela nous fera de la compagnie.
Alors, il conta ses affaires. Après avoir enfin obtenu le diplôme
de bachelier, pour contenter sa famille, il venait de passer trois ans
à Marseille, dans une grande maison d'indiennes imprimées,
dont la fabrique se trouvait aux environs de Plassans. Le commerce le
passionnait, le commerce de luxe de la femme, où il entre une séduction,
une possession lente par des paroles dorées et des regards adulateurs.
Et il raconta avec des rires de victoire, comment il avait gagné
les cinq mille francs, sans lesquels, d'une prudence de juif sous les
dehors d'un étourdi aimable, il ne se serait jamais risqué
à Paris.
Imaginez-vous, ils avaient une indienne pompadour, un ancien dessin,
une merveille... Personne ne mordait ; c'était dans les caves
depuis deux ans... Alors, comme j'allais faire le Var et les Basses-Alpes,
j'eus l'idée d'acheter tout le solde et de le placer pour mon compte.
Oh ! un succès, un succès fou ! Les femmes s'arrachaient
les coupons ; il n'y en a pas une, aujourd'hui, qui n'ait là-bas
de mon indienne sur le corps... Il faut dire que je les roulais si gentiment !
Elles étaient toutes à moi, j'aurais fait d'elles ce que
j'aurais voulu.
Et il riait, pendant que Mme Campardon, séduite, troublée
par la pensée de cette indienne pompadour, le questionnait. Des
petits bouquets sur fond écru, n'est-ce pas ?
Elle en avait cherché partout pour un peignoir d'été.
J'ai voyagé deux ans, c'est assez, reprit-il. D'ailleurs,
il faut bien conquérir Paris... Je vais immédiatement chercher
quelque chose.
Comment ! s'écria-t-elle, Achille ne vous a pas raconté ?
Mais il a pour vous une situation, et à deux pas d'ici !
Il remerciait, s'étonnant comme en pays de Cocagne, demandant par
plaisanterie s'il n'allait pas trouver, le soir, une femme et cent mille
francs de rente dans sa chambre, lorsqu'une enfant de quatorze ans, longue
et laide, avec des cheveux d'un blond fade, poussa la porte et jeta un
léger cri d'effarouchement.
Entre et n'aie pas peur, dit Mme Campardon. C'est M. Octave Mouret,
dont tu nous as entendu parler.
Puis, se tournant vers celui-ci :
Ma fille Angèle... Nous ne l'avions pas emmenée lors
de notre dernier voyage. Elle était si délicate ! Mais
la voilà qui se remplit un peu.
Angèle, avec la gêne maussade des filles dans l'âge
ingrat, était venue se placer derrière sa mère. Elle
coulait des regards sur le jeune homme souriant. Presque aussitôt,
Campardon reparut, l'air animé ; et il ne put se contenir,
il conta l'heureuse chance à sa femme, en quelques phrases coupées :
l'abbé Mauduit, vicaire à Saint-Roch, pour des travaux ;
une simple réparation, mais qui pouvait le mener loin. Puis, contrarié
d'avoir causé devant Octave, frémissant encore, il tapa
dans ses mains, en disant :
Allons, allons, que faisons-nous ?
Mais vous sortiez, dit Octave. Je ne veux pas vous déranger.
Achille, murmura Mme Campardon, cette place, chez les Hédouin...
Tiens ! c'est vrai, s'écria l'architecte. Mon cher,
une place de premier commis, dans une maison de nouveautés. J'y
connais quelqu'un, qui a parlé pour vous... On vous attend. Il
n'est pas quatre heures, voulez-vous que je vous présente ?
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