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Ils y allaient chaque jour, avec le goût du sang, avec la cruauté
de galopins s'amusant à voir des têtes coupées. Autour
du pavillon, les ruisseaux coulent rouge ; ils y trempaient le bout
du pied, y poussaient des tas de feuilles qui les barraient, étalant
des mares sanglantes. L'arrivage des abats dans des cariole qui puent
et qu'on lave à grande eau les intéressait. Ils regardaient
déballer les paquets de pieds de moutons qu'on empile à
terre comme des pavés sales, les grandes langues roidies montrant
les déchirures saignants de la gorge, les cœurs de bœuf solides
et décrochés comme des cloches muettes. Mais ce qui leur
donnait surtout le frisson à fleur de peau, c'étaient les
grands paniers qui suent le sang, pleins de têtes de moutons, les
cornes grasses, le museau noir, laissant pendre encore les chairs vives
des lambeaux de peau laineuse ; ils rêvaient à quelque
guillotine jetant dans ces paniers les têtes de troupeaux interminables.
Émile
Zola, Le ventre de Paris, p.265, Éd. Fasquelle
Entre Gras et Maigres, une bataille épique
Florent travaille comme inspecteur à la
Halles aux poissons. Or, son passé est découvert. Tout le
monde se met à le détester.
Le quartier entier se ruait sur lui. Il semblait que chacun eût
un intérêt immédiat à l'exterminer. Aux Halles,
maintenant, les uns juraient qu'ils s'étaient vendu à la
police ; les autres affirmaient qu'on l'avait vu dans la cave aux
beurres, cherchant à trouer les toiles métalliques des resserres,
pour jeter des allumettes enflammées. C'était un grossissement
de calomnies, un torrent d'injures, dont la source avait grandi, sans
qu'on sût au juste d'où elle sortait. Les poissonnières
aimaient Florent pour sa douceur. Elles le défendirent quelques
temps ; puis, travaillées par les marchandes qui venaient
du pavillon aux beurres et du pavillon des fruits, elles cédèrent.
Alors, recommença, contre ce maigre, la lutte des ventres énormes,
des gorges prodigieuses. Il fut perdu de nouveau dans les jupes, dans
les corsages pleins à crever, qui roulaient furieusement autour
de ses épaules pointues.
Émile
Zola, Le ventre de Paris, p.355-356, Éd. Fasquelle
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