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Dans la mer de ténèbres qui dormait devant eux, une étincelle
avait lui. C'était à leur pieds, quelque part dans l'abîme,
à un endroit qu'ils n'auraient pu préciser. Et, une à
une, d'autres étincelles parurent. Elles naissaient dans la nuit
avec un brusque sursaut, tout d'un coup, et restaient fixes, scintillantes
comme des étoiles. Il semblait que ce fût un nouveau lever
d'astres, à la surface d'un lac sombre. Bientôt elles dessinèrent
une doubles ligne, qui partait du Trocadéro et s'en allait vers
Paris, par légers bonds de lumière ; puis, d'autres
lignes de points lumineux coupèrent celle-ci, des courbes s'indiquèrent,
une constellation s'élargit, étrange et magnifique. Hélène
ne parlait toujours pas, suivant du regard ces scintillements, dont les
feux continuaient le ciel au-dessous de l'horizon, dans le prolongement
infini, comme si la terre eût disparu et qu'on eût aperçu
de tous cotés la rondeur céleste....Paris, qui s'allumait,
s'étendait, mélancolique et profond, apportant des songeries
terrifiantes d'un firmament où pullulent les mondes.
Émile
Zola, Une page d'amour, p. 253-254, Éd. Fasquelle
Incendie de la passion
Hélène est folle d'amour pour Henri,
un médecin de son quartier. Elle regarde à nouveau Paris,
pleine de passion et de flammes...
Sur Paris, les rayons obliques s'étaient encore allongés.
L'ombre du dôme des Invalides, démesurément grandie,
noyait tout le quartier Saint-Germain ; Tandis que l'Opéra,
la tour Saint-Jacques, les colonnes et les flèches zébraient
de noir la rive droite. Les lignes des façades, les enfoncements
des rues, les îlots élevés des toitures, brûlaient
avec une intensité plus sourde. Dans les vitres assombries, les
paillettes enflammées se mouraient, comme si les maisons fussent
tombées en braise. Des cloches lointaines sonnaient, une clameur
roulait et s'apaisait. Et le ciel, élargi aux approches du soir,
arrondissait sa nappe violâtre, veinée d'or et de pourpre
au-dessus de la ville rougeoyante. Tout d'un coup, il y eut une reprise
formidable de l'incendie, Paris jeta une dernière flambée
qui éclaira jusqu'aux faubourgs perdus. Puis, il sembla qu'une
cendre grise tombait, et les quartiers restèrent debout, légers
et noirâtres comme des charbons éteints.
Émile
Zola, Une page d'amour, p.169-170, Éd. Fasquelle
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