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Ce fut comme la clameur montante d'une marée. Nana ! Nana !
Nana ! Le cri roulait, grandissait, avec une violence de tempête,
emplissant peu à peu l'horizon, des profondeurs du bois au mont
Valérien, des prairies de Longchamp à la plaine de Boulogne.
Sur la pelouse, un enthousiasme fou s'était déclaré.
Vive Nana ! Vive la France ! A bas l'Angleterre ! Les femmes
brandissaient leurs ombrelles ; des hommes sautaient, tournaient,
en vociférant ; d'autres, avec des rires nerveux, lançaient
des chapeaux. Et, de l'autre coté de la piste, l'enceinte du pesage
répondait, une agitation remuait les tribunes, sans qu'on vît
distinctement autre chose qu'un tremblement de l'air, comme la flamme
invisible d'un brasier, au-dessus de ce tas vivant de petites figures
détraquées, les bras tordus, avec les points noirs des yeux
et de la bouche ouverte. Cela ne cessait plus, s'enflait, recommençait
au fond des allées lointaines, parmi le peuple campant sous les
arbres, pour s'épandre et s'élargir dans l'émotion
de la tribune impériale, où l'impératrice avait applaudi.
Nana ! Nana ! Nana ! le cri montait dans la gloire du soleil,
dont la pluie d'or battait le vertige de la foule.
Émile
Zola, Nana, p.378, Éd. Fasquelle
Plaisir et poison
Un article est paru, intitulé "La Mouche
d'or". C'est l'histoire de Nana, elle qui symbolise Paris, le Paris des
plaisirs, le Paris de la mort, de la vengeance.
Elle avait poussé dans un faubourg, sur le pavé parisien ;
et, grande, belle, de chair superbe ainsi qu'une plante de plein fumier,
elle vengeait les gueux et les abandonnés dont elle était
le produit. Avec elle, la pourriture qu'on laissait fermenter dans le
peuple remontait et pourrissait l'aristocratie. Elle devenait une force
de la nature, un ferment de destruction, sans le vouloir elle-même,
corrompant et désorganisant Paris entre ses cuisses de neige, le
faisant tourner comme des femmes, chaque mois, font tourner le lait. Et
c'était à la fin de l'article que se trouvait la comparaison
de la mouche, une mouche qui prenait la mort sur les charognes tolérées
le long des chemins, et qui, bourdonnante, dansante, jetant un éclat
de pierreries, dans les palais où elle entrait par les fenêtres.
Émile
Zola,Nana, p.226-227, Éd. Fasquelle
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