Nana
    
Ville désir

 
Ville désir
Foule vertige
Plaisir et poison
  Nana est comédienne. Ce soir, elle joue et une fièvre de curiosité pousse le monde de Paris à venir la voir.

Par les trois grilles ouvertes, on voyait passer la vie ardente des boulevards, qui grouillaient et flambaient sous les belle nuit d'avril. Des roulements de voitures s'arrêtaient court, des portières se refermaient bruyamment, et du monde entrait, par petits groupes, stationnant devant le contrôle, montant, au fond, le double escalier, où les femmes s'attardaient avec un balancement de taille. Dans la clarté crue du gaz, sur la nudité blafarde de cette salle dont une maigre décoration empire faisait un péristyle de temple en carton, de hautes affiches jaunes s'étalaient violemment, avec le nom de Nana en grosses lettres noires. Des messieurs, comme accrochés au passage, les lisaient ; d'autres, debout, causaient, barrant les portes ; tandis que, près du bureau de location un homme épais, à large face rasée, répondait brutalement aux personnes qui insistaient pour avoir des places.

Émile Zola, Nana, p.31, Éd. Fasquelle


Foule vertige
Nana est devenue célèbre. Elle assiste aux courses à Longchamp, entourée d'une foule qui l'admire. Une pouliche participe à la course, et porte son nom.
  

Ce fut comme la clameur montante d'une marée. Nana ! Nana ! Nana ! Le cri roulait, grandissait, avec une violence de tempête, emplissant peu à peu l'horizon, des profondeurs du bois au mont Valérien, des prairies de Longchamp à la plaine de Boulogne. Sur la pelouse, un enthousiasme fou s'était déclaré. Vive Nana ! Vive la France ! A bas l'Angleterre ! Les femmes brandissaient leurs ombrelles ; des hommes sautaient, tournaient, en vociférant ; d'autres, avec des rires nerveux, lançaient des chapeaux. Et, de l'autre coté de la piste, l'enceinte du pesage répondait, une agitation remuait les tribunes, sans qu'on vît distinctement autre chose qu'un tremblement de l'air, comme la flamme invisible d'un brasier, au-dessus de ce tas vivant de petites figures détraquées, les bras tordus, avec les points noirs des yeux et de la bouche ouverte. Cela ne cessait plus, s'enflait, recommençait au fond des allées lointaines, parmi le peuple campant sous les arbres, pour s'épandre et s'élargir dans l'émotion de la tribune impériale, où l'impératrice avait applaudi. Nana ! Nana ! Nana ! le cri montait dans la gloire du soleil, dont la pluie d'or battait le vertige de la foule.

Émile Zola, Nana, p.378, Éd. Fasquelle


Plaisir et poison
Un article est paru, intitulé "La Mouche d'or". C'est l'histoire de Nana, elle qui symbolise Paris, le Paris des plaisirs, le Paris de la mort, de la vengeance.

Elle avait poussé dans un faubourg, sur le pavé parisien ; et, grande, belle, de chair superbe ainsi qu'une plante de plein fumier, elle vengeait les gueux et les abandonnés dont elle était le produit. Avec elle, la pourriture qu'on laissait fermenter dans le peuple remontait et pourrissait l'aristocratie. Elle devenait une force de la nature, un ferment de destruction, sans le vouloir elle-même, corrompant et désorganisant Paris entre ses cuisses de neige, le faisant tourner comme des femmes, chaque mois, font tourner le lait. Et c'était à la fin de l'article que se trouvait la comparaison de la mouche, une mouche qui prenait la mort sur les charognes tolérées le long des chemins, et qui, bourdonnante, dansante, jetant un éclat de pierreries, dans les palais où elle entrait par les fenêtres.

Émile Zola,Nana, p.226-227, Éd. Fasquelle