Pot-Bouille
    
Le champ d'une âpre lutte

 
Le champ d'une âpre lutte
"M. Gourd rôdait…"
"Les mots ignobles…"
  Rue Neuve-Saint-Augustin, un embarras de voitures arrêta le fiacre chargé de trois malles, qui amenait Octave Mouret à la gare de Lyon. Le jeune homme baissa la glace d'une portière, malgré le froid vif de cette sombre après-midi de novembre. Il restait surpris de la brusque tombée du jour, dans ce quartier aux rue étranglées, toutes grouillantes de foule. Les jurons des cochers tapant sur les chevaux qui s'ébrouaient, les coudoiements sans fin des trottoirs, la file pressée des boutiques débordantes de commis et de clients, l'étourdissaient ; car, s'il avait rêvé de Paris plus propre, il ne l'espérait pas d'un commerce aussi âpre, il le sentait publiquement ouvert aux appétits des gaillards solides.
Le cocher s'était penché.
– C'est bien passage Choiseul.
– Mais non, rue de Choiseul... Une maison neuve, je crois.

Émile Zola,Pot-bouille, p.31-32, Éd. Fasquelle


"Depuis quelques temps, M. Gourd rôdait…"
Zola, dans ce roman, limite son investigation à la description d'un immeuble bourgeois "exemplaire", belle façade hypocrite qui cache toutes les turpitudes.
Tout se passe à l'intérieur, derrière l'apparence mensongère de la maison, dans l'intimité du foyer, des cuisines, des greniers...
   

Depuis quelques temps, M. Gourd rôdait d'un air mystérieux et d'inquiétude. On le rencontrait filant sans bruit, l'œil ouvert, l'oreille tendue, montant sans cesse les deux escaliers, où des locataires l'avaient même aperçu faisant des rondes de nuit. Certainement, la moralité de la maison le préoccupait ; il y sentait comme un souffle de choses déshonnêtes qui troublait la nudité froide de la cour, la paix recueillie du vestibule, les belles vertus domestiques des étages.
Un soir, Octave avait trouvé le concierge sans lumière, immobile au fond du couloir, collé contre la porte qui donnait sur l'escalier de service. Surpris, il l'interrogea.
- Je veux me rendre compte, Monsieur Mouret, répondit simplement M. Gourd, en se décidant à aller se coucher.
Le jeune homme resta effrayé. Est-ce que le concierge soupçonnait ses rapports avec Berthe ? Il les guettait peut-être. Leur liaison rencontrait de continuels obstacles, dans cette maison surveillée, et dont les locataires professaient les principes les plus rigides.

Émile Zola, Pot-bouille, p.311, Éd. Fasquelle


"Les mots ignobles continuaient…"
Berthe et Octave sont amants. Ils se voient en cachette. Ils surprennent les domestiques en pleine conversation...

Les mots ignobles continuaient, des mots que la jeune femme n'avait jamais entendus, toute une débâcle d'égout, qui, chaque matin, se déversait là, près d'elle, et qu'elle ne soupçonnait même pas. Maintenant, leurs amours, si soigneusement cachées, traînaient au milieu des épluchures et des eaux grasses. Ces filles savaient tout, sans que personne eût parlé. Lisa racontait comment Saturnin tenait la chandelle ; Victoire rigolait des maux de tête du mari, qui aurait dû se faire poser un autre œil quelque part ; Adèle elle-même tapait sur l'ancienne demoiselle de sa dame, dont elle étalait les indispositions, les dessous douteux, les secrets de toilette. Et une blague ordurière salissait leurs baisers, leurs rendez-vous, tout ce qu'il y avait encore de bon et de délicat dans leurs tendresses. (...)
Tous les fonds de casserole, toutes les vidures de terrine y passèrent, pendant que Lisa s'acharnait sur Berthe et sur Octave, arrachant des mensonges dont ils couvraient le nudité malpropre de l'adultère. Ils restaient, la main dans la main, face à face, sans pouvoir détourner les yeux ; et leurs mains se glaçaient, et leurs yeux s'avouaient l'ordure de leur liaison, l'infirmité des maîtres étalée dans la haine de la domesticité. C'était ça leurs amours, cette fornication sous une pluie battante de viande gâtée et de légumes aigres.

Émile Zola,Pot-bouille, p.335, Éd. Fasquelle