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Depuis quelques temps, M. Gourd rôdait d'un air mystérieux
et d'inquiétude. On le rencontrait filant sans bruit, l'il
ouvert, l'oreille tendue, montant sans cesse les deux escaliers, où
des locataires l'avaient même aperçu faisant des rondes de
nuit. Certainement, la moralité de la maison le préoccupait
; il y sentait comme un souffle de choses déshonnêtes qui
troublait la nudité froide de la cour, la paix recueillie du vestibule,
les belles vertus domestiques des étages.
Un soir, Octave avait trouvé le concierge sans lumière,
immobile au fond du couloir, collé contre la porte qui donnait
sur l'escalier de service. Surpris, il l'interrogea.
- Je veux me rendre compte, Monsieur Mouret, répondit simplement
M. Gourd, en se décidant à aller se coucher.
Le jeune homme resta effrayé. Est-ce que le concierge soupçonnait
ses rapports avec Berthe ? Il les guettait peut-être. Leur liaison
rencontrait de continuels obstacles, dans cette maison surveillée,
et dont les locataires professaient les principes les plus rigides.
Émile
Zola, Pot-bouille, p.311, Éd. Fasquelle
"Les mots ignobles continuaient
"
Berthe et Octave sont amants. Ils se voient en
cachette. Ils surprennent les domestiques en pleine conversation...
Les mots ignobles continuaient, des mots que la jeune femme n'avait jamais
entendus, toute une débâcle d'égout, qui, chaque matin,
se déversait là, près d'elle, et qu'elle ne soupçonnait
même pas. Maintenant, leurs amours, si soigneusement cachées,
traînaient au milieu des épluchures et des eaux grasses.
Ces filles savaient tout, sans que personne eût parlé. Lisa
racontait comment Saturnin tenait la chandelle ; Victoire rigolait
des maux de tête du mari, qui aurait dû se faire poser un
autre œil quelque part ; Adèle elle-même tapait sur
l'ancienne demoiselle de sa dame, dont elle étalait les indispositions,
les dessous douteux, les secrets de toilette. Et une blague ordurière
salissait leurs baisers, leurs rendez-vous, tout ce qu'il y avait encore
de bon et de délicat dans leurs tendresses. (...)
Tous les fonds de casserole, toutes les vidures de terrine y passèrent,
pendant que Lisa s'acharnait sur Berthe et sur Octave, arrachant des mensonges
dont ils couvraient le nudité malpropre de l'adultère. Ils
restaient, la main dans la main, face à face, sans pouvoir détourner
les yeux ; et leurs mains se glaçaient, et leurs yeux s'avouaient
l'ordure de leur liaison, l'infirmité des maîtres étalée
dans la haine de la domesticité. C'était ça leurs
amours, cette fornication sous une pluie battante de viande gâtée
et de légumes aigres.
Émile
Zola,Pot-bouille, p.335, Éd. Fasquelle
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