"Et le Voreux, au fond de son trou, avec son tassement de bête méchante, s'écrasait davantage, respirait d'une haleine plus grosse et plus longue, l'air gêné par sa digestion pénible de chair humaine." Émile Zola, Germinal
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À la fois miroir de la modernité et emblème
du progrès, la machine tient un rôle central dans l'univers
romanesque de Zola. Plus qu'un élément nécessaire à
la description du réel, elle est un personnage à part entière,
figuration vivante de la science faite femme ou monstre. Au-delà
du simple objet technique comme la Lison, la locomotive sensuelle de La
Bête humaine, ou l'alambic du père Colombe de L'Assommoir,
l'image de la machine s'applique chez Zola à toute production du
génie moderne : la mine ou l'usine (Germinal et Travail),
les Halles (Le Ventre de Paris) ou le grand magasin (Au Bonheur
des dames). Douées de vie, ces architectures de métal
au corps monstrueux fait de viscères apparents ou cachés,
de "bedon de cuivre" (l'alambic), de "membres et d'articulations"
musclés (la Lison), de "boyaux et de veines" géants
(le Voreux de Germinal) évoquent les monstres de l'Antiquité.
Car cette machine qui s'anime est une "dévoratrice" ;
elle prend la vie plus qu'elle ne la donne, comme le grand magasin ou la
mine qui se repaissent de chair humaine, ou l'alambic qui noie ses victimes
dans son dangereux labyrinthe de tuyaux
Moloch des temps modernes
ou idole de métal, elle semble plus ennemie qu'alliée de l'homme.
Comme ses personnages, Zola semble à la fois fasciné et révulsé
par ces manifestations vivantes et sauvages du progrès en marche.
En créant l'usine utopique de Travail, il donne à l'univers
mécanique sa version idéale (esquissée par Denise à
la fin du Bonheur des dames) : la Crêcherie est une machine
nimbée de lumière, génératrice de vie et source
de bonheur et de fraternité. Ses rouages propres et silencieux illuminés
par la "fée" électricité sont bien éloignés
du fracas monstrueux engendré par la vapeur et le charbon. La machine
enfin apprivoisée est assujettie pour le bienfait de l'humanité.
Le mythe est devenu utopie. Les documents : Louis Béroud, Intérieur de la galerie des machines à l'Exposition universelle de 1889 Claude Monet, La gare d'Argenteuil Émile Zola, Germinal, dossier préparatoire |