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En cette année 1620,
le jeune roi Louis XIII et son favori, le connétable
de Luynes, tentent entre deux parties de chasse de pacifier
un pays en proie aux guerres civiles menées par les princes
en Anjou et les protestants en Béarn. Selon son ordinaire,
la reine mère, Marie de Médicis, en conflit perpétuel
avec son fils, complote. Richelieu prépare son retour
au pouvoir. Le trésor de la Bastille accumulé
par Sully est dilapidé pour acheter des fidélités
douteuses.
Le peuple souffre. La bourgeoisie cultive ses talents. On édite
à Paris plus de deux cents pamphlets. Le désordre
politique et la combustion des esprits sont à leur comble.
Mais en 1620 arrivent presque à maturité des habiles
gens, manuels et spéculatifs, qui dans tous les domaines
des arts et des sciences vont révolutionner ce début
du XVIIe siècle et en faire
un des moments les plus passionnants de notre histoire.
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Un
terreau scientifique fertile
Au début du XVIIe, les allées
et les plates-bandes du jardin des sciences sont mal dessinées
; les mauvaises herbes de l’obscurantisme envahissent
le terrain et étouffent les pensées les plus délicates.
Cependant, des amateurs jardiniers regardent ce jardin avec
des yeux neufs et subtils, prêts à dompter l’imperfection
des lieux. Ils s’emparent de tous les outils disponibles,
au besoin en inventent de nouveaux et se mettent à creuser,
et se mettent à planter. Ils ont la chance de trouver
un sol déjà bien amendé, un terreau fertile,
car des savants, notamment italiens, ont déjà
renoué avec la science hellénique. Euclide, Apollonius,
Pappus, Archimède et Diophante sont traduits en latin,
la langue de l’Europe savante, puis en langue vernaculaire.
En France, François Viète (1540-1603) imagine
le calcul littéral, c’est-à-dire l’algèbre
classique, et donne ainsi aux mathématiciens une langue
universelle et un outil extrêmement performant pour résoudre
des problèmes dans toute leur généralité.
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En Pologne, Nicolas Copernic
(1473-1543) publie, prudemment, quelques jours avant sa mort,
son traité d’astronomie, où il examine,
comme "supposition", un système planétaire
héliocentrique. Mais l’Allemand Johann Képler
(1571-1630), en publiant en 1609 son Astronomia nova,
transforme cette supposition théologiquement condamnable
en hypothèse scientifiquement vraisemblable.
En Italie, au milieu du XVIe siècle,
les éditions en latin et en italien du De Pictura,
écrit en 1435 par Leon Battista Alberti (1404-1472),
propagent dans les milieux artistiques ce texte fondateur de
la peinture occidentale moderne. Le De Artificiali Perspectiva,
de Jean Pèlerin Viator (144?-1524), permier traité
imprimé de perspective artistique, paraît à
Toul en 1505. Les Instructions pour la mesure, à
la règle et au compas, des lignes, plans et corps solides…
à l’usage de tous les amateurs d’art, d’Albrecht
Dürer (1471-1528), sont éditées à
Nuremberg en 1525. Grâce à ces trois ouvrages et
à quelques autres publiés avant 1620, grâce
aussi aux analyses de Léonard de Vinci (1452-1519), souvent
prises comme référence, la perspective raisonnée
se dégage lentement des règles empiriques d’atelier.
Comme on le voit avec ces quelques exemples, les humanistes
de la Renaissance ont préparé le terrain des inventions
à venir, notamment par l’alliance féconde
des sciences, des arts et des lettres. |
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Un
regard neuf sur les mathématiques
Les intellectuels veulent délivrer les hommes de la fantaisie
ou de l’erreur, en soumettant leurs observations aux lois
de la raison. Et passant du qualitatif au quantitatif, ils vont
porter sur les mathématiques mêmes un regard neuf.
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Descartes n’aurait pas
fait grand cas des mathématiques, "les plus faciles
des sciences", destinées uniquement "à
résoudre de vains problèmes, auxquels les calculateurs
et les géomètres ont coutume de s’amuser
dans leurs loisirs", s’il n’avait pas remarqué
qu’elles fonctionnent comme une propédeutique de
l’esprit. Elles donnent le modèle d’une méthode,
c’est-à-dire d’une mise en action de "règles
certaines et faciles, grâce auxquelles tous ceux qui les
observent exactement ne supposeront jamais vrai ce qui est faux,
et parviendront, sans se fatiguer en efforts inutiles mais en
accroissant progressivement leur science, à la connaissance
vraie de tout ce qu’ils peuvent atteindre".
Abraham Bosse, opposant opinion et démonstration, valorise
aussi l’apprentissage des mathématiques. Plus profondément,
Bosse trouve son compte, comme Descartes, dans une mathématique
universelle, considérée comme une science générale
expliquant "tout ce qu’on peut chercher touchant
l’ordre et la mesure". Elle est son guide, non seulement
dans l’étude de la perspective, mais aussi pour
toutes les dépendances de l’art du dessin et de
la peinture, c’est-à-dire pour lui "l’Histoire,
l’anatomie des corps, la belle proportion d’entre
les membres, les ordres d’architecture, et autres semblables".
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Abraham
Bosse et la communauté scientifique
Abraham Bosse n’est pas un de ces inventeurs prodigieux
que ce siècle fécond a produits, mais il en a
côtoyé beaucoup, et non des moindres, et fut reconnu
comme excellent non seulement comme graveur en taille doulce,
mais aussi comme érudit.
Le premier nom qu’il faut donner, c’est celui de
son ami de plus de vingt ans, Girard Desargues (1591-1661),
le fondateur de la géométrie projective. Bien
que les travaux de Desargues soient très différents
de ceux de Descartes, fondateur de la géométrie
analytique, ces deux savants ont toujours été
scientifiquement et philosophiquement très proches.
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Abraham Bosse est aussi en
contact avec quelques cercles scientifiques parisiens qui, plus
ou moins sur le modèle romain de l’Accademia dei
Lincei, honorée par des participants prestigieux comme
Galilée, entretiennent régulièrement le
débat d’idées. Ces cercles jouent un peu
pour les sciences le rôle tenu par les salons littéraires
à l’égard des lettres, mais le libertinage
érudit du XVIIe siècle
n’ayant pas de frontière, on rencontre souvent
les mêmes beaux esprits chez les uns ou les autres.
Sans que sa présence soit clairement attestée,
il est vraisemblable qu’Abraham Bosse ait fréquenté
au moins les cercles de Renaudot, Mersenne, Bourdelot et, en
dernier lieu, le salon de Habert de Montmort.
Enfin, on ne peut pas négliger les relations croisées
entre Abraham Bosse, d’une part, certains auteurs (ou
seulement leurs œuvres) et les éditeurs parisiens,
d’autre part. |
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La méthode
universelle de Desargues
En observant les travaux des gnomonistes traçant les
cadrans solaires, des maçons découpant les pierres
dans le tuffeau et des peintres esquissant les schémas
perspectifs des tableaux, Desargues, en profond spéculatif,
repense la géométrie. La pratique du trait géométrique,
qui relie ces ouvriers de la main, se fait par l’intermédiaire
de règles qu’il juge confuses et laborieuses. Ses
méditations théoriques et son désir de
soulager le travail des praticiens le conduisent à imaginer
des moyens abrégés et infaillibles pour exécuter
leur ouvrage. Mais ce faisant il invente de nouveaux concepts
et un nouveau savoir mathématique. Dans trois domaines,
son apport est décisif : – La définition
et l’étude de l’espace, considéré
comme homogène et infini en toutes dimensions. Notre
éducation moderne ne nous permet pas de voir les difficultés
liées à ce concept. C’est Pascal, élève
de Desargues, qui en donnera une formulation définitive,
alors que dans les cercles savants de l’époque
on se pose la question de l’existence même de cet
espace (au singulier) "en cas que Dieu n’eût
rien créé". – L’actualisation
de l’infini géométrique. Desargues considère,
par exemple, que deux droites parallèles se rencontrent
en un point (la matérialité de ce point se retrouve
dans son image perspective), et donc il abolit les différences
entre droites parallèles et droites sécantes.
– Le repérage… Ce concept, en gestation dans
les pratiques de mises au carreau des peintres, dans les constructions
perspectivistes italiennes et dans des dispositifs comme le
portillon de Dürer, va être pleinement utilisé
par Desargues pour créer ses échelles arguésiennes.
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La
place de la perspective
Lorsque Bosse affirme que "la pratique du noble art de
peinture doit être fondée en la plupart de ses
parties sur un raisonnement droit et réglé, qui
est à dire géométrique, et par conséquent
démonstratif", il exprime un extrême intellectualisme,
que seule peut-être la peinture de Poussin pourra assouvir.
Dans sa conception rationaliste, où la beauté
n’est rien d’autre que l’expression sensible
de la vérité, la place de la perspective lui semble
centrale. Il estime qu’il faut procéder en portraiture
par règle et raison démonstrative pour connaître
l’effet de l’ouvrage après son achèvement.
"Chercher en tâtonnant, à la vue du Naturel,
sans autre conduite ou règle que de l’œil"
conduit à l’erreur. On comprend que cette intrusion
du géomètre dans l’atelier des peintres
et graveurs puisse susciter des réticences, parfois des
refus et des disputes. D’autant que, retournant la situation,
la perspective donne des critères objectifs pour juger
d’une œuvre achevée. |
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La perspective est pour Bosse
une science globalisante, un corps de doctrine, structurant
par la raison tout l’art de la portraiture. Il en est
si persuadé qu’il n’aura de cesse de faire
partager ses convictions par la rédaction de nombreux
ouvrages (peu d’artistes ont autant publié) où,
s’appuyant sur le savoir mathématique de son ami,
il développe tous les aspects de sa doctrine. Loin de
la réduire à placer convenablement les objets
et leur ombre sur le tableau (perspective linéaire),
ni à régler l’affaiblissement des couleurs
et l’évanouissement des contours dans les lointains
(perspective aérienne), Bosse inclut dans la perspective
non seulement ces deux savoirs mais toutes leurs dépendances
: l’architecture, l’anatomie, les proportions des
objets animés et inanimés, l’art du drapé,
la topographie, l’art des jardins, les bas-reliefs et
même l’histoire ou, casus belli académique,
la pose du modèle.
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La
pédagogie de Bosse
Bosse est, par nature, et peut-être aussi par tradition
calviniste, un homme qui veut s’inscrire dans la chaîne
de transmission du savoir. Il compte sur une pédagogie
raisonnée et méthodique pour transmettre son savoir
perspectif aux ouvriers de l’art de la portraiture et
aux amateurs ayant peu ou prou de géométrie. Si
Desargues écrit essentiellement pour les doctes, ce n’est
pas le dessein de Bosse. Les deux premiers traités rédigés
par Bosse, l’un sur la coupe des pierres, l’autre
sur les cadrans solaires, presque totalement arguésiens,
sont déjà les préludes à ses méthodes
pédagogiques. Sa pédagogie, toute cartésienne
évidemment, part des connaissances assurées et
très simples des praticiens, puis s’élève
par degrés vers des savoirs plus compliqués, en
divisant chacune des difficultés rencontrées en
autant de petites parcelles où chaque difficulté
élémentaire est résolue en termes presque
évidents.
En son temps, cette fine et érudite transposition didactique
du savoir savant de Desargues fut suffisamment appréciée
par les fondateurs de l’Académie royale de peinture
et sculpture pour qu’ils fissent l’honneur à
Bosse de l’inviter à enseigner aux élèves
de l’Académie la manière de pratiquer la
perspective et de le recevoir en leur corps. |
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