Abraham Bosse | ||||
La Saignée, 1632 | ||||
Eau-forte et burin. 255 x 335 | ||||
BNF Est., Ed 30, rés. (1er état ; le 2e chez Tavernier)* | ||||
Une jeune femme assise s'adresse au chirurgien qui lui enlève le garrot qui servait à la saignée et retire le linge qui la protégeait. Les vers placés sous la composition reproduisent ses paroles pleines de sous-entendus : elle l'encourage et en redemande, mais son regard paraît un peu moins assuré que ses propos. La réplique du chirurgien manque mais son attitude est quelque peu goguenarde. Bien que plus âgé, avec ses cheveux noirs bouclés et ébouriffés, il rappelle celui qui assiste l'accouchée de la série du Mariage à la ville, avec sa barbiche, sa moustache en pointe et son élégance, il a d'ailleurs la même collerette ouvragée. Comme toujours chez Bosse, rien n'est laissé au hasard, et chaque élément a un rôle précis qui reste parfois à décrypter. Les animaux conduisent le regard vers la fenêtre ouverte et l'agitation de la ville ; avec le chirurgien n'est-ce pas le monde de la rue qui pénètre dans le foyer et le menace ? Servante, chien et chat, chirurgien et malade, serviteur et enfant s'enchaînent comme les répliques d'une saynète, et chacun enrichit l'histoire et la rend plus attrayante. De même, quel est le rôle des portraits ? Ne sont-ce pas ceux du maître et de la maîtresse de maison ? Par leur place, ils répondent au groupe principal du chirurgien et de l'épouse ; semblant prendre à partie le spectateur, ils animent la scène ; Bosse leur donne un rôle important, d'autant qu'il place sur chacun la date de 1632, qui est sans doute celle de l'exécution de la gravure. Cette gravure montre une scène relativement fréquente à cette époque où la médecine était simple. Pourquoi l’artiste ne l’aurait-il pas vécue ? Sur le mur du fond de la chambre, dans la semi-obscurité convenable au sujet et à la faiblesse de la patiente, Bosse a disposé deux portraits feints qui se font pendant. Ce sont à n’en pas douter les portraits du maître et de la maîtresse de maison, représentés en buste. La date de 1632 apparaît assez clairement, malgré la pénombre, sur chacun d’eux (sur les bonnes épreuves), accompagnée de l’âge des modèles en chiffres romains : 30 ans pour l’homme, 23 pour la femme. Cette précision inhabituelle provoque la réflexion et l’on se demande logiquement s’il ne s’agirait pas des portraits de Bosse et de son épouse. Si Bosse était né en 1604, cela n’aurait aucun sens ; mais, s’il était né en 1602, comme on l’a cru longtemps, cela en aurait un. Lors de son enterrement au cimetière protestant des Saints-Pères, le 15 février 1676, Abraham Bosse est déclaré âgé de soixante-quatorze ans ou environ par deux de ses gendres. On pouvait légitimement inférer de cet acte publié par Herluison qu’il était né en 1602, et c’est la date qu’ont reprise tous les biographes de Bosse. Cependant, la découverte récente (1993) du contrat d’apprentissage de l’artiste avec Melchior Tavernier est venue jeter le trouble dans cette unanimité. En effet, l’apprenti est alors déclaré par sa mère âgé de seize ans ou environ, alors qu’on est le 16 juillet 1620. Ne voyant aucune raison de douter de cette information qui, plus près de l’origine que la précédente, émanait en outre des principaux intéressés, la toute petite communauté scientifique intéressée par le sujet ne s’est pas fait scrupule de changer la date de naissance du graveur de 1602 en 1604. Il faut donc savoir quel âge pouvait avoir la femme de l’artiste, Catherine Sarrabat, en 1632, c’est-à-dire l’année même de leur mariage, qui eut lieu le 9 mai à Tours. On ignore sa date de naissance exacte mais, si l’on en croit le témoignage de son mari et de son frère, elle était âgée de 58 ans ou environ au jour de son décès, le 5 septembre 1668. Cela signifie qu’elle était née en 1609 ou 1610, et donc qu’elle avait 22 ou 23 ans en 1632. Il y a donc lieu de penser qu’il s’agit bien, sur l’estampe de La Saignée, des portraits, ou au moins des figures, d’Abraham Bosse et de son épouse ; c’est même la seule hypothèse vraisemblable. On se trouve donc contraint de revenir à la date de 1602 pour la naissance de l’artiste. En revanche on ne comprend pas, pour l’instant, l’intérêt qu’il y avait à le rajeunir de deux ans au moment de son contrat d’apprentissage, dont la lecture est incontestable. |
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En bas à droite : A. Bosse jn fé. Sous la composition, un sonnet sur 4 colonnes : Lá courage Monsieur vous laues enterrepris / Je tiendray bon, frottez, serrez la ligature, / Picquez asseurement faictes bonne ouuerture / Ah ! Ce bouillon de sang vous a comme surpris. // Que la phlebotomie espure les Espritz / Et descharge le sang de grande pourriture, / O Dieux la douce main lagreable picquure ; / Le souuenir m'en faict reuenir le soubzris. // Qu'un peu de sang tiré me rend fort allegéé / Sur tous medicamens J'estime la saignéé / Je me sens retourner en nouuelle vigueur / Sy vous recognoissiez, qu'il me fut necessaire // Recommancez le coup ; jay bien assez de cour / J endurerays autant que vous en voudriez faire. Au-dessous des derniers vers : A Paris Chez le Blond auec Priuilege du Roy. | ||||