Abraham Bosse
Les Vierges folles s'entretiennent des plaisirs mondains

Suite Les Vierges sages et les Vierges folles, v. 1635
Eau-forte. 260 x 330 au coup de planche
BNF Est., Ed 30, rés.

Dans un salon quelque peu désordonné, les Vierges folles se livrent à la frivolité. Deux d'entre elles jouent aux cartes ; une autre lit une partition de musique ; elles sont interrompues par une quatrième qui, une guitare à la main droite, leur montre de l'autre le roman qu'elle est en train de lire ; la cinquième se regarde dans le miroir placé sur le mur du fond, au-dessous d'un tableau représentant Danaé. La cheminée, à droite, sort de l'ouvrage que Bosse a gravé en 1633 d'après les compositions de Barbet. Au premier plan, à droite, les lampes traînent à terre, et le vase à huile est manifestement vide.
Le thème des Vierges sages et des Vierges folles, qui s'appuie sur un passage de l'Évangile (Matthieu, XXV, 1-13), est relativement rare dans l'iconographie. Que Bosse le traite ici avec un grand luxe de détail n'est cependant ni dû au hasard ni nécessairement lié à son protestantisme, dont on sait qu'il n'était pas intransigeant. Cela s'inscrit dans la lutte du temps à la fois contre les mondanités et contre la préciosité naissante, ce dernier sujet étant une des cibles favorites de notre graveur.
Le thème est traité en sept planches, de façon symétrique. Deux estampes montrent, d'une part, les Vierges sages devisant des choses célestes dans la sobriété et l'ordre de leur chambre, d'autre part, les Vierges folles se livrant à des conversations mondaines, jouant de la musique, se divertissant aux cartes, dans un salon coquet et désordonné. Deux autres estampes montrent la même opposition au moment où les jeunes filles sommeillent en attendant l'arrivée de l'époux céleste. Une cinquième, rompant le rythme, rassemble les deux groupes lorsque retentit l'annonce de l'arrivée de l'époux et que les Vierges folles se voient refuser par les Vierges sages de l'huile pour leurs lampes. Les deux dernières estampes montrent l'accueil de l'époux par les unes, et le rejet des autres.
Cette suite existe en deux états. Elle fut d'abord publiée par Jean Ier Leblond, qui y a mis sa marque, à l'enseigne du Pavillon royal, rue Saint-Denis, ce qui n'aide guère pour la datation, n'offrant qu'un terminus avant 1648. Cependant, dans la première planche des Vierges folles, figure une cheminée reprenant un modèle présent en 1633 dans le Livre d'architecture d'autels et de cheminées gravé pour Barbet. Le costume des jeunes filles peut nous apporter une précision supplémentaire. Michèle Beaulieu note que "les dames portent dès cette année 1634 de menus objets pendus à leur ceinture [c'est le cas ici : montres et miroirs], c'est le renseignement que nous pouvons extraire de La Place Royale, comédie de Corneille datée de cette année [Acte II, Scène III]". Et de dater la suite précisément de 1635, ce qui est une proposition vraisemblable.
Après le décès de Jean Ier Leblond, en 1666, si une partie de son fonds de planches échut à son neveu Jean II Leblond, une autre partie fut dispersée. Il est fort possible que, même si Bosse était encore vivant, ses estampes n'étant plus à la mode, elles aient trouvé difficilement leur emploi. Ainsi certaines planches, qui portent l'excudit de Nicolas de Poilly, connurent-elles également des modifications dans le costume porté par les Vierges. Nous rencontrerons ce problème à nouveau un peu plus loin, dans la suite des Ouvres de miséricorde (images 182 à 188).

Dans la marge inférieure, au centre, le titre : LES VIERGES FOLLES., puis 16 vers sur 4 colonnes : Tu vois comme ces Vierges foles / S'amusent invtilement / Apres des actions friuoles, / Dont Elles font leur Element. // Les Jeux, les Festins, la Musique, / La Dance, et les liures d'Amour ; / C'est à quoy leur Esprit s'applque [sic], / Y passant la nuict, et le jour. // O que ces Ames insensées / Cherissent les Mondanités ! / Leurs parolles, et leurs pensées / Ne s'attachent qu'aux Vanités. // D'vn faux lustre leur vie esclatte ; / Elles aiment ce qui leur nuit / Et lors que le Monde les flatte, / Jl les enchante et les destruit. Au-dessous, à gauche : ABosse jnu. et fe., et au centre : A Paris, Chez le Blond, ruë S. t Denys, au Pauillion Royal. Auec Priuilege du Roy.