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La « Renaissance carolingienne »

Présentation du livre à l’empereur
Présentation du livre à l’empereur

Bibliothèque nationale de France

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La période carolingienne marque une étape majeure dans l'histoire des idées et de leur diffusion. Grâce au rôle joué par la cour et par les écoles, une grande partie des lettrés partage désormais une culture commune, qui réussit à fusionner des influences très hétéroclites. Les apports orientaux, anglo-saxons, ibériques et italiens se greffent sur un socle franc et germanique. C’est le premier grand épanouissement de la culture européenne.

L’expression de « Renaissance carolingienne », née sous la plume d’historiens au 19e siècle, laisse croire à tort que l’empire carolingien succède à une époque barbare et inculte. Au contraire, les prémices de cette renaissance sont anciens, et sur les ruines de la culture romaine s’était déjà édifiée depuis longtemps une nouvelle culture d’inspiration chrétienne.

Le tournant qui s’opère aux 8e et 9e siècles n’en est pas moins fondamental. De Charlemagne à Charles le Chauve, les empereurs carolingiens ont su donner une impulsion décisive, et une véritable cohérence, à ces premières manifestations d’une culture nouvelle, en soutenant avec efficacité et enthousiasme les entreprises intellectuelles et artistiques de leur temps.

Éducation et enseignement

Charlemagne, dans la mémoire populaire, passe pour avoir « inventé l’école » ; si les écoles dont il ordonne la création n’ont que peu de points communs avec celles que nous connaissons aujourd’hui, il n’en reste pas moins qu’il est effectivement le premier à avoir édicté une véritable législation visant à mettre en place des cadres scolaires.

L’enseignement est d’abord l’un des rôles qu’il attribue à l’Église. Quand il prend le pouvoir, les monastères sont en effet les seuls lieux où, grâce aux scriptoria et aux bibliothèques, les moines ont les moyens d’étudier les textes anciens, qu’ils soient religieux ou profanes. Il n’existe rien de semblable pour le clergé séculier ni pour les laïcs ; c’est à quoi la nouvelle législation tente de remédier.

Ordonnance de Charlemagne
Ordonnance de Charlemagne |

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Le capitulaire de 789

De tous les édits royaux contenant des mesures législatives ou administratives, nommés capitulaires, qui émaillent l’histoire carolingienne, l’Admonitio generalis (Exhortation générale) est le plus connu et l’un des plus importants. Promulgué le 23 mars 789, ce long texte de 82 articles aborde tous les sujets pouvant figurer dans une constitution à la fin du 8e siècle, c’est-à-dire les droits, les obligations et les missions des sujets de Charles, dans les domaines religieux, moral et intellectuel. Destiné à tous les membres de la société, laïcs et ecclésiastiques, il est rédigé par des prêtres et des conseillers de l’empereur.

Le chapitre 72, spécialement adressé aux prêtres, leur enjoint de respecter les préceptes de l’Évangile, de fonder des écoles où les enfants puissent lire, et de corriger scrupleusement les textes qu’il s’agit de transcrire avec le plus grand soin.

Les objectifs de Charlemagne : évangélisation et administration

Charlemagne reprend en fait à son compte des décisions déjà prises en 772 par son cousin Tassilon III, duc de Bavière, qui a demandé aux évêques d’organiser des écoles dans leurs églises. Il s’intéresse aux études dans des buts précis. D’abord, il sait que le clergé doit être instruit et muni de versions correctes du texte sacré pour ses missions d’évangélisation et de réforme, et pour instruire à son tour le peuple qui lui est confié.

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Lire et écrire sous Charlemagne

Ensuite, il tente de fonder une administration performante, que l’étendue de ses territoires rend indispensable. Il doit donc rendre à ce moyen de gouvernement qu’est l’écrit la place qu’il avait dans le monde romain. Les comtes et missi dominici (les représentants du roi, envoyés ponctuellement en tournées d’inspection dans ses circonscriptions et chargés de transmettre les capitulaires de l’empereur) qu’il emploie doivent savoir lire pour interpréter ses ordres, et écrire pour rédiger des rapports. La langue utilisée, le latin, doit être pure, afin d’être comprise de tous.

Poème XXVIII des Louanges de la Sainte Croix
Poème XXVIII des Louanges de la Sainte Croix |

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Ce n’est pas si facile à obtenir, et Charlemagne doit répéter la nécessité d’une instruction solide pour les clercs et les moines, et du minimum indispensable à la religion pour les laïcs. Peu après le concile de Francfort en 794, il envoie ainsi à l’abbé de Fulda la lettre De litteris colendis (De la culture littéraire), qui complète les directives de l’Admonitio generalis. Charlemagne y prône une éducation littéraire poussée, seul moyen de comprendre les textes bibliques les plus difficiles. L’empereur veut créer des écoles dans tous les monastères et dans tous les évêchés du royaume ; en 803, les parents sont priés d’envoyer leurs enfants à l’école.

L’Église soutient cette politique où elle trouve son intérêt. En écho aux décisions de l’empereur, Théodulfe, évêque d’Orléans en 798, ordonne aux prêtres de son diocèse d’avoir « des écoles dans les villes et les villages. Et si l’un des fidèles veut que ses enfants apprennent à lire, qu’ils ne refusent pas de les recevoir et de les enseigner… », et tout cela gratuitement. Par ailleurs, la correspondance d’Alcuin contient des allusions à l’existence d’écoles dans les diocèses, et dans une lettre datée de 813-814, l’archevêque de Lyon Leidrat rapporte à Charlemagne : « J’ai en effet des écoles de chantres… J’ai aussi des écoles de lecteurs qui non seulement s’exercent aux lectures des offices, mais aussi exercent leur intelligence spirituelle dans la méditation des livres divins. »

Louis le Pieux continue cette politique avec Benoît d’Aniane. En 817, le concile d’Aix décide que les écoles monastiques seront réservées aux futurs moines, et que les grandes abbayes et les évêchés doivent ouvrir d’autres écoles, dispensant l’enseignement de base destiné aux autres clercs et aux laïcs ; mais cette consigne sera peu appliquée. Des décisions similaires sont prises les années suivantes, mais conformément à l’évolution de l’Église, ce sont maintenant les abbés et les évêques qui décident, et le partage de Verdun en 843 marque la fin des décrets généraux.

Un programme ordonné par l’empereur

Si l’on reprend les termes de l’Admonitio generalis, le programme de Charlemagne concerne les apprentissages de base, lire (le latin bien sûr), écrire et compter. Le chant destiné aux offices religieux et « les notes », sorte de sténographie destinée aux futurs employés de chancellerie, permettent de préciser une fois pour toutes le but de l’empereur : réguler la pratique de la religion et l’exécution des tâches administratives.

Charlemagne remet également à l’honneur les Arts libéraux, c’est-à-dire les sept disciplines intellectuelles considérées comme fondamentales depuis l’Antiquité. Destinées à l’élite intellectuelle, dirigées souvent par des savants reconnus comme Raban Maur ou Haymon d’Auxerre, elles sont organisées en deux cycles, dont l’acquisition est alors vue comme nécessaire à la compréhension des mystères de la Foi chrétienne. Le premier cycle, le trivium, permet surtout la maîtrise de la langue latine ; il regroupe ainsi grammaire, rhétorique (l’art de composer un texte) et dialectique (l’art de disserter). Le second cycle, le quadrivium, est consacré aux disciplines scientifiques : arithmétique, géométrie, musique et astronomie. La transmission des Arts libéraux constitue un progrès décisif dans l’organisation des études, et servira de base à l’enseignement scolaire puis universitaire pendant tout le Moyen Âge.

 

La Dialectique enseignant à deux écoliers
La Dialectique enseignant à deux écoliers |

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L’Astrologie enseignant la science des astres
L’Astrologie enseignant la science des astres |

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L’impact de la politique d’enseignement

Il est difficile de juger de l’impact général de cette politique, mais le résultat pour le clergé est manifeste. Au concile de Savonnières en 859, les évêques reconnaissent que Charlemagne a beaucoup apporté à l’Église et au savoir, et demandent aux rois Lothaire II et Charles le Chauve de l’imiter. Le niveau culturel général augmente, timidement sous Charlemagne, puis de façon plus marquée pendant tout le 9e siècle, et les Carolingiens lettrés écrivent un latin correct, qui va rester pendant plusieurs siècles la langue internationale de la religion et de la culture. Une correspondance abondante et variée s’échange dans toute l’Europe.

La persistance du multilinguisme

Préface du livre I avec lettre ornée
Préface du livre I avec lettre ornée |

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Cependant, si le latin est la langue du clergé et de l’élite intellectuelle et administrative, les princes carolingiens, dont la langue maternelle est le francique (un dialecte germanique parlé couramment en Austrasie, comme l’est le roman en Neustrie), savent qu’une grande partie de leurs sujets ne connaît pas le latin, et ils tiennent compte des pratiques linguistiques les plus répandues. Le concile de Tours en 813 conseille d’ailleurs aux évêques de prêcher en langue romane ou germanique, même si le latin reste obligatoire pour les offices… Charlemagne est « à demi instruit » : il comprend et lit le latin et le parle suffisamment pour soutenir une conversation, mais il ne sait pas l’écrire ; quand il souhaite répondre en vers à un poème de remerciements envoyé par Paul Diacre, il fait appel à son professeur de grammaire, Pierre de Pise. Quant à sa connaissance du grec, elle n’existe sans doute que dans l’esprit de son biographe, Éginhard. Ce dernier est sans doute plus proche de la réalité quand il rapporte que l’empereur fait transcrire les vieilles légendes barbares, pour garder le souvenir de l’histoire et des exploits des vieux rois, et qu’il tente d’écrire une grammaire germanique… Le seul de ces textes à avoir survécu est une histoire en vers du héros germanique Hildebrand, écrite à Fulda en 800. Louis le Pieux, son fils, commandera un poème épique en saxon retraçant la vie du Christ d’après les Évangiles. Enfin, les Serments de Strasbourg témoignent aussi du multilinguisme qui règne alors dans les territoires sous domination carolingienne.

Le palais, cœur de l’empire

L’amélioration de la gestion du royaume héritée des rois mérovingiens est un but important pour Pépin le Bref, qui s’inspire du modèle italien. Les officiers qui l’entourent sont des laïcs, le plus souvent membres de l’aristocratie franque, mais les responsables de l’administration royale sont maintenant des clercs. Ils jouent le premier rôle dans la longue réforme religieuse et administrative qui commence alors et se traduit par un nombre d’actes en constante augmentation. S’il existe une véritable école dans le palais du souverain, elle est réservée à cette époque aux jeunes clercs qui apprennent leur métier dans la chapelle ou dans la chancellerie.

Construction d’Aix-la-Chapelle
Pépin le Bossu devenant moine
Construction d’Aix-la-Chapelle
Pépin le Bossu devenant moine |

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Au 8e siècle, les rois ont encore une vie itinérante. En s’installant à Aix-la-Chapelle à partir de 790 et en y construisant une résidence digne de ses ambitions, Charlemagne est le premier à réunir son entourage dans un lieu fixe, connu sous l’appellation de palais. L’organisation du palais et son protocole sont calqués sur la cour de l’empereur romain Constantin (314-340). Les membres de la famille impériale sont au centre d’une organisation complexe, constituée d’officiers de haut rang, le chapelain et l’archichancelier, et d’autres fonctionnaires comme le chambrier, charge occupée sous Charles le Chauve par le comte Vivien. Les responsables de l’empire y font de nombreuses visites, la cour est au cœur d’échanges diplomatiques nourris et, après le couronnement à Rome, un prestige international s’ajoute à son éclat. Louis le Pieux maintient le siège de son gouvernement à Aix-la-Chapelle. De même, après le partage de 843, quand Charles le Chauve choisit Compiègne parmi d’autres résidences et Louis le Germanique Francfort ou Ratisbonne, la ville élue par leur grand-père reste un enjeu politique important.

Les écoles du Palais

Reliure d’orfèvrerie et d’ivoire au Christ bénissant
Reliure d’orfèvrerie et d’ivoire au Christ bénissant |

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C’est autour de la Cour de Charlemagne et de celle de Charles le Chauve que se constituent les deux écoles du Palais carolingiennes où se développent les arts. Elles dépendent étroitement du mécénat des deux princes, et ne survivent pas à leur disparition.

L’école de Charlemagne

La première école palatine, localisée à Aix-la-Chapelle, se développe à la fin du 8e et au début du 9e siècle sous l’impulsion de Charlemagne ; elle marque le début d’une ère nouvelle dans tous les domaines. Les architectes qui participent à la construction et à l’ornementation des bâtiments y côtoient les calligraphes et les peintres qui produisent des manuscrits de grand luxe, destinés pour partie à la chapelle impériale. La cour s’installe définitivement à Aix-la-Chapelle en 795, dans un ensemble architectural qui représente la plus importante réalisation civile dans le royaume.

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La Renaissance carolingienne

L’empereur accueille volontiers dans son palais les écrivains et les intellectuels, qu’il fait travailler pour lui. Charlemagne est plein de vénération pour ceux qui enseignent, les comble d’honneurs et se fait leur élève. Il apprend la grammaire avec Paulin de Pise, la rhétorique, la dialectique et l’astronomie avec Alcuin. Rencontré en Italie, celui-ci est sans doute le conseiller le plus proche et le plus écouté, comme en font foi des lettres au ton et au contenu très personnels. D’après Éginhard, l’empereur encourage des leçons, des débats entre intellectuels et aristocrates, des jeux littéraires, auxquels assistent les enfants de la famille royale et ceux des aristocrates qui vivent à la cour. Une vie brillante réunit les lettrés, membres de cette sorte de salon qu’est l’Académie palatine, où la poésie, très appréciée par le souverain, est à l’honneur. Ses membres surnomment Charlemagne David, et se donnent des pseudonymes à consonance antique comme Théodulfe le rapporte dans un poème, Alcuin est Flaccus, Angilbert Homère, et Éginhard Nardulus.

Les évangélistes saint Marc et saint Luc
Les évangélistes saint Marc et saint Luc |

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L’évangéliste saint Jean et le Christ en majesté
L’évangéliste saint Jean et le Christ en majesté |

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En matière de production de manuscrits, l’école s’illustre à travers l’exécution d’Évangiles de très haute qualité, enluminés dans un style où dominent les influences de l’Antiquité tardive. De cette école sont issus en particulier les Évangiles du groupe d’Ada, du nom d’une abbesse de l’entourage de Charlemagne, et les fameux Évangiles du Couronnement, dont les illustrations sont réalisées dans un style illusionniste ancré dans la tradition hellénique. Tous ces manuscrits témoignent de la richesse d’inspiration de leurs auteurs, comme du souci de perpétuer les conceptions artistiques de la culture grecque et romaine. La hiérarchie savante dans l’utilisation de la pourpre et des écritures d’or et d’argent, le luxe des peintures à pleine page et des lettres ornées, la variété infinie des encadrements, témoignent du niveau des moyens qui leur sont dédiés. Ce centre est vraisemblablement dirigé dans les premières années par Godescalc. Son activité diminue peu à peu pour cesser vers 810, mais son style va marquer la production livresque de la partie orientale de l’empire franc pour longtemps.

Témoin et acteur d’une évolution inéluctable qui a commencé avant lui, Charlemagne entretient donc à ses côtés une sorte de laboratoire. Là est le berceau de la renaissance culturelle et artistique qui caractérise l’époque carolingienne. La mort de Charlemagne met un terme à l’activité artistique de l’atelier impérial d’Aix, mais de Louis le Pieux à Charles le Chauve, malgré leurs insuffisances et leurs dissensions, ses successeurs ont continué la politique de leur aïeul.

L’école de Charles le Chauve

Sous le règne de Louis le Pieux, la qualité des réalisations d’ouvrages liturgiques connaît une baisse sensible, mais ses fils, Louis le Germanique, Lothaire Ier et Charles le Chauve, renouent avec la tradition des volumes de luxe, commandes impériales ou dons de leur entourage. Charles le Chauve, en effet, aime le luxe. En témoigne une lettre de 840-841, où Loup de Ferrières demande au chancelier de l’empereur que deux de ses serviteurs soient instruits dans l’art de travailler l’or et l’argent par les orfèvres de la Cour : « La renommée a répandu partout que vous en possédiez de très habiles. » Durant la seconde moitié du 9e siècle, l’empereur s’engage donc sur les traces de son illustre grand-père en encourageant les arts, en particulier dans les domaines du livre et de l’orfèvrerie.

La cour céleste et le Christ en majesté
La cour céleste et le Christ en majesté |

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Son nom est ainsi associé à plusieurs manuscrits particulièrement luxueux, tels le Codex Aureus, son psautier et son livre de prières. Ces deux derniers manuscrits sont signés par le scribe Liuthard, qui dirige probablement l’école de Charles le Chauve et qui donne son nom à un ensemble de pièces d’ivoire également produites dans son entourage. Cette école du Palais, dont la localisation demeure inconnue, se situe au point de rencontre des grands courants artistiques des décennies précédentes, empruntant la plupart de ses traits stylistiques aussi bien à Metz qu’à Reims et à Tours.

La production livresque de son école palatine mêle harmonieusement les aspects novateurs des grands scriptoria francs, l’originalité iconographique de Metz et la puissante interprétation des modèles antiques pratiquée à Reims ou à Tours, avec les héritages italien et insulaire. Cet atelier est composé de scribes, de peintres, mais aussi de sculpteurs sur ivoire et d’orfèvres ; des thèmes et des modèles semblables traversent les différentes techniques mises en œuvre pour la fabrication des livres. Les peintres et les calligraphes suivent au gré des événements les pérégrinations de la cour entre les résidences royales de Soissons, Saint-Denis, Ponthion, et surtout de Compiègne où l’empereur inaugure en 877 une chapelle à l’image de celle d’Aix, symbole de la nostalgie pour une époque déjà révolue. L’art carolingien atteint alors un aboutissement éblouissant qui va fortement influencer les siècles suivants.

David et ses musiciens
David et ses musiciens |

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Crucifixion
Crucifixion |

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Les autres foyers de culture

L’élan créateur se poursuit durant la seconde moitié du 9e siècle sous Charles le Chauve, qui conserve les mêmes orientations de politique culturelle et continue à soutenir la création artistique. De grands centres de culture se développent au sein de l’empire, où font exception l’Aquitaine et la Provence ruinées par les guerres incessantes et les invasions. Dans les grands monastères de Gaule, à Corbie et Saint-Riquier, à Saint-Martin de Tours, mais aussi près de certaines cathédrales, à Reims ou à Lyon par exemple, des écoles s’organisent pour la première fois de façon claire et structurée, selon un schéma inspiré de celui qui fonctionne à la fin du 7e siècle à York, où Alcuin a enseigné pendant plusieurs années.

Saint Jérôme établissant sa traduction biblique
Saint Jérôme établissant sa traduction biblique |

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Initiale T du Te igitur : sacrifices de l’Ancien Testament
Initiale T du Te igitur : sacrifices de l’Ancien Testament |

Bibliothèque nationale de France

Après la mort de Charlemagne, plusieurs centres se créent sous la houlette de grands personnages familiers de l’empereur. L’archevêque de Reims Ebbon, frère de lait de Louis le Pieux, favorise la création d’un atelier d’enluminure à Hautvillers, d’où sortent le fameux Psautier d’Utrecht et les Évangiles d’Ebbon, au style nerveux et vibrant d’inspiration hellénistique.

Saint Jean et grandes initiales IN marquant le début de son Évangile
Saint Jean et grandes initiales IN marquant le début de son Évangile |

Bibliothèque municipale d'Épernay

À Tours, la production de Bibles et d’Évangiles enluminés atteint son apogée sous les successeurs d’Alcuin, Adalard et Vivien, irriguée par des courants antiquisants teintés d’influences rémoises, comme en témoignent notamment la Bible de Vivien et les Évangiles de Lothaire.
Metz, enfin, déploie une activité artistique exceptionnelle sous l’évêque Drogon, fils illégitime de Charlemagne. Des ateliers messins nous est parvenu un groupe de manuscrits liturgiques décorés d’enluminures d’une grande finesse, et garnis de somptueuses reliures d’ivoires.

À cette époque, on observe dans les centres du Nord une rupture décisive avec la tradition figurative : demeurés fidèles à l’héritage insulaire, les enlumineurs actifs à Saint-Amand et dans les environs pratiquent un style ornemental abstrait, dit « franco-insulaire », dont la Seconde Bible de Charles le Chauve incarne l’apogée. En marge de ces écoles officielles fleurissent tout au long de la période concernée un certain nombre d’autres centres provinciaux, tels que Corbie ou Fleury, qui continuent à pratiquer un art hybride, combinant traditions insulaires, mérovingiennes et méditerranéennes.

Initiale V du « Vere dignum et justum »
Initiale V du « Vere dignum et justum » |

Bibliothèque nationale de France

Initiale T du Te Igitur
Initiale T du Te Igitur |

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Cette brillante renaissance artistique commence à donner des signes de déclin dès la fin du 9e siècle, minée par les dissensions internes de l’Empire puis par les invasions normandes qui font brutalement disparaître de nombreux foyers de création. Au siècle suivant, privée du soutien royal, l’activité artistique connaît ainsi un net ralentissement, se poursuivant de manière sporadique dans quelques foyers situés aux lisières de l’empire, ainsi qu’au sein de quelques monastères.

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