Les objets magiques
 
  Des vecteurs du merveilleux
Dans l’univers des contes de fées, le monde des objets est investi d’une intensité particulière, comme si l’anonymat imposé aux personnages profitait aux objets : ces derniers apparaissent vivants, hauts en couleur, à coup sûr doués d’une âme. L’enchantement s’y propage au rythme vigoureux des "alors" qui scandent les péripéties d’une intrigue riche en actions. Déployés dans le visible, magnétiques, en proie à une logique autonome, les objets semblent les conducteurs privilégiés du merveilleux.
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Va, prince, lui dit la fée, en le touchant trois fois avec le rameau d’or, va, tu seras si accompli et si parfait, que jamais homme devant toi ni après toi, ne t’égalera". Alors, le rameau d’or, avatar luxueux de la baguette, opère la métamorphose qui met l’apparence du prince en accord avec la beauté de son âme. Autour de lui s’organise, dans le conte du même nom, l’intervention d’une cascade d’objets aux vertus stupéfiantes tels que le tire-bourre d’or qui ouvre magiquement la vieille armoire aussi "vieille et laide par dehors" que "belle et merveilleuse par-dedans", le livre merveilleux découvert par le Prince Torticoli dans sa chambre de la Tour des Princes Rebelles, ou le portrait de la Fée Bénigne qui pare la Princesse Trognon d’une beauté nouvelle (Mme d’Aulnoy).

  

   
Chapeau du Prince lutin qui lui confère à sa guise l’invisibilité, clé envoûtée de Barbe-Bleue dont le sang ne s’efface pas, miroir enchanté de Blanche-Neige ou de La Belle et la Bête qui révèle des vérités invisibles ou lointaines ("Quelle fut sa surprise, en jetant les yeux sur un grand miroir, d’y voir sa maison où son père arrivait avec un visage extrêmement triste…"), écharpe de toile d’araignée que la Fée Carabosse lance sur les épaules de la Fée Printanière "brodée d’ailes de chauve-souris" et qui semble clouée sur ses épaules, œufs magiques de L’Oiseau Bleu ou bottes du Petit-Poucet qui s’ajustent à la jambe de celui qui les enfile et permettent de parcourir sept lieues en une seule enjambée : innombrables et divers sont les objets qui remplissent, dans le conte, l’espace de la réalité et le temps de l’épreuve.
   

Des objets complices ou maléfiques, accélérateurs de l’histoire ?
Mais si tous les objets, doués ou non de pouvoirs magiques, participent à l’accélération – ou au ralentissement – de l’histoire (on pense à la quenouille fatale de la Belle au Bois Dormant), certains y contribuent à titre de complices, tandis que d'autres opposent la résistance de l'obstacle. "Bons" ou "mauvais" objets ne cessent de s’affronter et de faire exister en miroir deux mondes qui sont l’inverse l’un de l’autre. Emblématique à cet égard est le combat qui oppose dans La Princesse Printanière le chariot d’or des bonnes fées où une belle dame tient une lance dorée, et le chariot attelé de six chauves-souris où une femme laide brandit une vieille pique rouillée, ou dans Le Rameau d’or, la confrontation entre la demeure des araignées, des chats suppliciés et de la haine, et l’amour qui habite la Tour des Princes Rebelles (Mme d’Aulnoy).
 

  



Les objets médiateurs de l’invisible
Plus largement, c’est à une méditation sur le bon usage de tous les objets que le conte nous invite à réfléchir, opposant à une logique d’accumulation aveugle (parce qu’elle ne voit dans les objets que leur dimension visible), le discernement du regard qui sait entrevoir au-delà des apparences, la véritable richesse qui est bien celle du cœur. Ainsi dans Cendrillon l’empressement fiévreux des sœurs qui réclament avidement à leur père de beaux habits et des pierres précieuses contraste avec le détachement de Cendrillon demandant à son père le premier rameau qui heurterait son chapeau, se situant ainsi du côté de ce qui ne "brille" pas mais existe avec le statut d’une promesse (Grimm). Tout se passe comme si, en choisissant un objet qui est du côté de la vie (le rameau verdoyant), Cendrillon mobilisait à son secours toutes les énergies vitales et leur prodigieux pouvoir de métamorphoser instantanément l’infiniment petit en infiniment grand. Tout se passe comme s’il y avait toujours deux mondes en présence : un monde où ce qui est difficile vient d’abord, où l’épreuve et la perte sont structurantes et opèrent les "bonnes" coupures et par ailleurs un monde fastueux d’abord mais qui va se rétrécissant et dont l’enflure finit par conduire à l’auto-mutilation, ou à la "mauvaise" coupure.
Ainsi organisés en systèmes, les objets constituent dans les contes de fées une forme d’écriture en miroir, qui fait durer le temps de l’épreuve et lui confère sa matérialité : une matérialité ambiguë puisqu’elle nous met en chemin vers un espace autre, situé au-delà des apparences, dans l’invisible et agissante vérité des cœurs.