Les bonnes fées de la réclame

Aujourd’hui, l’univers des contes de fées n’occupe plus beaucoup de place dans le monde de la publicité. Subissant la concurrence d’autres médias tels la radio, la télévision, le cinéma, ou même la presse écrite ou l’affichage, l’édition publicitaire ne recourt plus guère aux personnages éponymes de Perrault pour vanter marques et produits, comme ont pu le faire au XIXe siècle les laines du Chat botté ou le fil à coudre Au petit Chaperon rouge.
   

   

Edition publicitaire et contes de fées
Au milieu du XIXe siècle, une véritable édition publicitaire puisait largement dans un corpus de contes de fées bien connu du public. Les chromos, ou chromolithographies, images polychromes éditées par des magasins grands ou petits et par certains fabricants, représentaient souvent des contes de fées sous forme de séries d’images. Ces chromos, notamment ceux du Bon Marché, se caractérisaient par une iconographie proche des illustrations classiques, comme celles de Gustave Doré, et par une très grande fidélité au texte, jusque dans la formulation incantatoire. Les chocolatiers Nestlé et Meunier ont aussi publié des séries consacrées aux contes. Le principe publicitaire était habile puisque, pour avoir une série complète, il fallait effectuer de nouveaux achats en vue de compléter l’album vendu en accompagnement. Le conte n’était toutefois pas modifié et servait seulement d’incitation à l’achat.
Autre type d’édition publicitaire, les brochures, éditées par certaines marques pour être offertes à leurs clients, mettaient en scène des contes de fées, souvent adaptés ou même composés pour vanter un produit. En 1909, la phosphatine Falières éditait La Dernière Fée, suivie l’année suivante par la liqueur Bénédictine avec Aladin ou la lampe merveilleuse.
   

  


Trahison ou recréation
Les contes de fées n’ont évidemment jamais été écrits ou recueillis pour vendre un quelconque objet. Hormis les chromos, toute publicité en référence aux contes constitue par essence une trahison, introduisant souvent un élément étranger à l’histoire. En outre, la valeur d’un conte, considérée comme initiatique ou seulement narrative, se trouve à la fois dans le déroulement d’une histoire et dans la non-incarnation d’un personnage qui permet éventuellement à l’auditeur une identification avec le héros. Or la publicité fige un moment précis, au mieux une courte succession d’événements, très souvent en le dénaturant. Elle donne un visage à un personnage qui a presque valeur d’archétype. Pourtant, certains emprunts publicitaires recréent un autre monde, en n’ignorant rien des diverses interprétations de cette littérature. Ainsi pour sa promotion, Nicolas place la Belle au Bois dormant dans un cercueil de verre en forme de bouteille, cependant que le texte établit un parallèle entre le vin centenaire (1829) et les cent ans d’endormissement de la Belle, tout en multipliant les clins d’œil à la psychanalyse : la transparence du verre évoque la pureté et la possibilité pour l’héroïne de sortir de son sommeil.
   

Les contes les plus représentés
Le choix d’un conte dans la publicité est subordonné à une identification immédiate par ses destinataires. Ainsi s’explique d’une part la prééminence dans la publicité des contes de Perrault et des frères Grimm, d’autre part la rareté des personnages issus de contes savants. Certains chromos, ceux du Bon Marché notamment, reprennent toutefois des contes de Mmes d’Aulnoy et Leprince de Beaumont. Bien que ce soit le seul conte de Perrault où l’héroïne meurt, Le Petit Chaperon rouge est prédominant dans la publicité pour plusieurs raisons : les enjeux de désir et de tentation, l’opposition du noir et du rouge, la présence du loup, animal symbolique de l’imaginaire occidental, ainsi qu’une notoriété plus grande auprès du public des contes. La représentation du loup est très influencée par l’illustration des contes. Souvent debout, de couleur noire, il garde la disproportion déjà présente dans les gravures de Gustave Doré, ainsi vu encore récemment par Luc Besson pour le parfum "N°5 de Chanel" (1998). Un autre conte très représenté, Le Petit Poucet, permet de jouer sur les rapports de pouvoir. En effet, pouvoir et désir restent deux moteurs de la publicité.
  

Pertinence de l’utilisation de certains contes
La sélection d’un conte comme argument publicitaire n’est cependant pas toujours dictée par la logique. Certes, l’objet vanté dans la publicité peut se trouver dans le conte, quand le Petit Chaperon rouge sert à présenter galette et pot de beurre ou le Chat botté à vendre des bottes. Le chocolat, très souvent associé au Chaperon, permet de jouer avec la gourmandise ou la voracité du loup et modifie l’issue du conte puisque le loup mange le chocolat et non la petite fille.
L'objet est parfois en rapport avec l’histoire : un savon intitulé "L’apothéose de Cendrillon", le Chat botté et l’ogre du Petit Poucet présentant du cirage pour astiquer leurs bottes utilisent les particularités des personnages ou de l’histoire. Plus subtile est l’image du Chat botté montrant un crayon à bille, ou celle du petit Poucet vantant les bienfaits de l’orange — avec les bottes de sept lieues, il fait "un grand pas vers la santé". Le whisky Johnny Walker, red label, est plus audacieux, avec une petite fille tout de blanc vêtue qui regarde tristement un loup, dont on ne voit que les pattes arrière et la queue, se détourner d’elle car "sans le rouge rien ne va plus". Mais les camemberts "Petit Chaperon rouge", "Cendrillon" ou "Petit Poucet" prennent simplement le nom de personnages célèbres qui ne mangent ni camembert, ni fromage dans les contes.
   

   
Les phrases rituelles sont conservées avec plus ou moins de fidélité ou d’invention, le texte de référence étant alors celui des Contes de ma mère l’Oye de Perrault. Dans la série du dessinateur Gad pour la Loterie nationale, une phrase extraite des contes et adaptée à chaque personnage incite à prendre un billet ; par exemple le Chat botté : "Ce château appartient à mon maître qui vient de gagner à la… Loterie nationale." L’ogre de la crème Danette, lui, s’exclame : "Ça sent la crème fraîche", dans une petite histoire qui commence par "Il était une fois".
  

Merveilleux et consommation
Il ne faudrait pas déduire de ces quelques exemples que la publicité a gardé intact ce corpus de contes qui nous était parvenu sans grand changement jusqu’au milieu du XXe siècle, ni qu’elle a permis le maintien d’un merveilleux qui en est sinon l’élément le plus typique, du moins le plus visible. En effet, faire de la publicité le dernier refuge de ce merveilleux que les enfants ne trouveraient plus ailleurs, c’est oublier que son seul but est de faire acheter, et qu’elle a au contraire réduit — et morcelé — de façon effrayante un univers foisonnant et symbolique à quelques contes et à quelques personnages.
L’image de Blanche-Neige définitivement brouillée par le film de Walt Disney n’est-elle pas désormais la seule qui s’impose quand on évoque le personnage, parce que reprise dans nombre de publicités qui s’adressent désormais en priorité aux adultes ? Les publicités télévisées récentes pour le parfum "N°5 de Chanel", "Sida information Service" ou le "téléphone portable SFR" montrant le Petit Chaperon rouge, Peau-d’Âne ou Cendrillon, ont clairement pour cible des adultes.