|
|
|
|
Les médecins du Moyen Âge portent une grande attention à la nourriture, qu'ils considèrent comme un moyen non seulement de conserver la santé mais aussi de guérir les maladies. Selon une théorie héritée de la médecine grecque de l'Antiquité (Hippocrate, Galien) et transformée par les médecins arabes, les aliments sont en effet des composés de qualités premières : ils sont chauds ou froids et secs ou humides. Or, le corps humain est traversé de fluides ou "humeurs" qui combinent ces mêmes qualités premières : le sang est ainsi réputé chaud et humide, la colère (ou bile jaune) est chaude et sèche, tandis que les humeurs froides sont la mélancolie (ou bile noire), froide et sèche, et le flegme, froid et humide. Les maladies internes étant dues, pour les médecins, à l'excès d'une humeur dans le corps, il suffit, pour obtenir la guérison, de l'évacuer ou de le faire disparaître par un régime approprié. Par exemple, on administrera aux malades souffrant d'une fièvre sévère des aliments particulièrement froids, telles les cucurbitacées ou les salades qui ne sont guère conseillées en temps ordinaire.
|
Manger pour conserver
la santé |
|
La nourriture quotidienne
que l'on recommande aux gens sains a pour objectif de maintenir intact leur
tempérament (ou "complexion"), c'est-à-dire le composé
d'humeurs qui les caractérise. Un individu où le sang prédomine
se verra qualifié de sanguin, et ainsi de suite pour les colériques,
les mélancoliques et les flegmatiques. À un tempérament
sanguin conviennent bien évidemment des aliments chauds et humides,
tels le pain de froment, la volaille et le vin pur, tandis que la diète
des mélancoliques devrait être constituée de fèves
et de viande de porc. Dans ce système de correspondances raffinées,
il faut aussi tenir compte de la saison (les épices très vivement
échauffantes sont à proscrire en été), de l'âge
du patient (la chaleur vitale décline durant la vieillesse) et enfin
des apprêts que l'on donne aux aliments : le gibier d'eau, naturellement
humide et froid comme l'eau où il vit, sera asséché
si l'on prend la peine de le faire rôtir à la broche et de
l'accompagner d'épices chaudes et sèches.
|
|
Des manuels d'hygiène
alimentaire |
|
Tout le monde ne disposant
pas d'un médecin à demeure pour indiquer ce qu'il faut ou non manger, des
manuels ont été écrits afin de guider les choix alimentaires du public.
Parmi ces "Régimes de santé", il en est qui s'appliquent à une situation
particulière : grossesse, vieillesse ou encore une maladie plus ou
moins grave. D'autres ont une visée plus générale. L'un des plus répandus
est le Tacuinum Sanitatis,
ou "Tableau de la santé", traduit au milieu du XIIIe siècle à
partir d'un texte du médecin de Bagdad Ibn Butlân. Son format pratique en
tableaux récapitulatifs et les somptueuses illustrations que ses manuscrits
contiennent à partir des années 1370 lui assurent un grand succès. Mais
c'est la littérature diététique dans son ensemble qui se développe à la
fin du Moyen Âge, reflétant ainsi le très vif intérêt que porte cette époque
à tout ce qui concerne la nourriture. La crainte que représente la peste
y est aussi pour beaucoup : cette "grande faucheuse" réapparaît en
1348 et revient frapper régulièrement une population affaiblie par la crise
économique et les guerres. Les médecins n'ont guère à lui opposer qu'un
régime interdisant les épices dont le caractère échauffant est
supposé favoriser la corruption des humeurs et recommandant
le vinaigre qu'on utilise "à toutes les sauces" : en bain de bouche,
en instillation nasale, sur une éponge placée devant les narines, et bien
sûr dans l'assaisonnement des plats.
|
|
La grande cuisine des malades |
|
Dès le XIIe
siècle, un médecin de la célèbre école
de Salerne, Petrus Musandinus, consacre un traité à l'alimentation
des malades atteints de fièvres aiguës. Il y expose de véritables
recettes culinaires, dans lesquelles le souci du détail le dispute
à celui de satisfaire le goût. Un plat d'amandes sucrées
est ainsi comparé aux mets que les maîtres-queux confectionnent
alors dans les cuisines de l'aristocratie. Sachant qu'il faut composer avec
le goût des patients, Musandinus propose une variante du lait d'amandes
de couleur parfaitement blanche, car "cela plaît davantage aux
malades", écrit-il. Toute une section de son Opuscule sur
l'alimentation des malades est même dévolue à des
plats de viande, pourtant formellement interdits aux fiévreux. Enfin
il admet que le patient puisse vouloir goûter la pâte d'une
tourte dont seul l'intérieur est utile dans le traitement !
|