Contre la peine de mort


 

La peine de mort est le signe spécial et éternel de la barbarie.
Discours à l’Assemblée constituante, 15 septembre 1848

 


Le premier de tous les combats de Victor Hugo – le plus long, le plus constant, le plus fervent - est sans doute celui qu’il mène contre la peine de mort.
Dès l’enfance, il est fortement impressionné par la vision d’un condamné conduit à l’échafaud, sur une place de Burgos, puis, à l’adolescence, par les préparatifs du bourreau dressant la guillotine en place de Grève. Hanté par ce "meurtre judiciaire", il va tenter toute sa vie d’infléchir l’opinion en décrivant l’horreur de l’exécution, sa barbarie, en démontrant l’injustice (les vrais coupables sont la misère et l’ignorance) et l’inefficacité du châtiment. Utilisant tour à tour sa notoriété d’écrivain et son statut d’homme politique, il met son éloquence au service de cette cause, à travers romans, poèmes, témoignages devant les tribunaux, plaidoiries, discours et votes à la Chambre des pairs, à l’Assemblée puis au Sénat, articles dans la presse européenne et lettres d’intervention en faveur de condamnés.

 

 

Un roman-manifeste : Le Dernier Jour d’un condamné 


En écrivant, à vingt-sept ans, Le Dernier Jour d’un condamné comme un journal, à la première personne, Hugo interpelle le lecteur en exposant les sentiments d’un homme à partir du verdict : "Condamné à mort ! Voilà cinq semaines que j’habite avec cette pensée" jusqu’à sa conduite à l’échafaud : "Ah ! les misérables ! il me semble qu’on monte l’escalier… Quatre heures."
Dans la préface à la réédition de 1832, l’écrivain avoue que l’écriture du roman l’a libéré d’une culpabilité, "il [l’auteur] n’a plus senti à son front cette goutte de sang qui rejaillit de la Grève sur la tête de tous les membres de la communauté sociale". Mais, ajoute-t-il, "se laver les mains est bien, empêcher le sang de couler serait mieux". Cette préface constitue à elle seule un réquisitoire contre la peine de mort. Hugo n’hésite pas à décrire quelques exécutions particulièrement atroces, "il faut donner mal aux nerfs aux femmes des procureurs du roi. Une femme, c’est quelquefois une conscience". Il réfute les arguments habituellement avancés en faveur de la peine capitale, en particulier celui de l’exemplarité. Il réclame en outre "un remaniement complet de la pénalité sous toutes ses formes, du haut en bas, depuis le verrou jusqu’au couperet".

 

 

Lecomte et Tapner : des affaires emblématiques


Hugo assiste en qualité de pair de France au procès de Pierre Lecomte, convaincu de tentative d’assassinat sur Louis-Philippe. Devant la Chambre des pairs, où l’ "on est tout à la fois juge et législateur", il s’élève contre la peine de mort, "au point de vue général, je répugne aux peines irréparables ; dans le cas particulier, je ne les admets pas". Il plaide l’irresponsabilité du coupable et vote la détention perpétuelle. Il ne sera suivi que par deux des autres votants.

Victor Hugo intervient également en faveur du criminel John Tapner en adressant par voie de presse une vibrante supplique aux habitants de Guernesey, les incitant à réclamer la commutation de la peine. Cet appel eut un certain écho, mais pétitions et manifestations n’empêchent pas Tapner d’être pendu le 10 février 1854. Dès le lendemain, Hugo écrit au secrétaire d’État de l’Intérieur, lord Palmerston, une lettre vengeresse, ne lui épargnant aucun détail du long supplice auquel le bourreau n’avait pu mettre fin qu’en se suspendant aux pieds du condamné. En même temps, le proscrit de Jersey n’hésite pas à accuser le ministre anglais de collusion avec Napoléon III, le soupçonnant d’avoir laissé mourir Tapner pour ne pas déplaire à l’empereur.