La Mission héliographique est née de la rencontre d'un
médium encore jeune, en pleine évolution, avide de légitimité artistique
et scientifique, et d'un profond mouvement intellectuel et esthétique
issu du romantisme, passionné par la découverte et la sauvegarde des monuments
anciens et particulièrement médiévaux. |
La collaboration Le Gray, Mestral |
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Le Gray et Mestral jugèrent plus utile et agréable de voyager ensemble. Ils quittent Paris en juillet 1851 : ils voyagent des châteaux de la Loire aux Pyrénées, obliquent vers Carcassonne puis, par l'Auvergne, regagnent Paris en octobre. Bien au-delà de la commande initiale, ils rapportent plus de six cents négatifs sur papier ciré sec, fruit d'un travail commun. Ne concevant pas leur mission comme un simple travail de documentation photographique, les deux jeunes artistes choisissent des points de vue, des cadrages aptes à produire autant d'œuvres indépendantes. La grandeur des négatifs (jusqu'à 30 x 40 cm), la beauté et la variété des couleurs des tirages excitent une admiration unanime à leur retour. |
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Les possibilités du papier ciré sec |
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Les deux photographes expérimentèrent sur le terrain, pendant plus de trois mois, les possibilités du papier ciré sec, susceptible de produire, selon Le Gray, jusqu'à vingt-cinq ou trente épreuves par jour. Roger Fenton, qui les vit dès leur retour, parle de centaines de négatifs et son témoignage est confirmé par la numérotation de ceux-ci, puisque le numéro le plus élevé, porté sur une vue de Saint-Austremoine à Issoire, est le numéro 605. La numérotation continue est une autre preuve du travail commun de conception et de manipulation. |
L'influence de Barbizon |
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Les voyageurs ont notablement allongé la liste qu'on avait dressée pour eux, le recensement archéologique officiel se doublant, au fil du chemin, d'une excursion d'artistes. Leur quart de la France contient des châteaux de la Renaissance, des églises romanes et les remparts de Carcassonne, mais guère d'églises gothiques. Aussi leur série représente-t-elle un échantillon de l'architecture française très différent de celui qu'illustre par exemple Le Secq, et cette différence dans l'objet est indissociable, dans le résultat final, d'une différence esthétique entre les photographies elles-mêmes. Les monuments méridionaux, dans la simplicité de leurs courbes, appellent une vision épurée, la saisie des volumes des absides, des tours et des arcs dans une construction énergiquement calculée. Les gravats et les herbes folles, toutefois, les arbres et le linge battus par le vent tempèrent de poésie la rigueur "cubiste" du document monumental. Parfois, même, le paysage tend à l'emporter sur l'architecture : dans les vues du pont de Palalda, du pont Neuf de Cahors, du pont du Gard, c'est la composition de l'ensemble qui compte d'abord. On y perçoit l'héritage des vues pittoresques lithographiées pour le baron Taylor, mais aussi l'influence de Barbizon. L'élargissement quantitatif et qualitatif de la mission prévue justifie que seule une partie des épreuves rapportées par Le Gray et Mestral ait été vendue à l'administration : environ un cinquième, soit cent vingt négatifs et les tirages correspondants, pour la somme considérable de neuf mille deux cent vingt francs. Des "documents de travail" La commission ne publia pas les clichés qu'elle avait
engrangés. Les membres de la Société héliographique en furent indignés
et Wey alla jusqu'au sarcasme : |
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