La chronologie des expériences de Le Gray ne
peut être reconstituée avant le 1er
juin 1850, date de sa première publication, le Traité
pratique de photographie sur papier et sur verre. Les instructions
qu'il y donne témoignent déjà d'une grande aisance
dans les manipulations. Elles sont essentiellement pratiques, nourries
de son expérience personnelle. Mais le praticien chevronné
est aussi devenu dès ce moment un expérimentateur, un inventeur.
Sa première modeste brochure fournit, en appendice, les résultats
déjà obtenus par lui en substituant du collodion à
l'albumine pour faire adhérer les sels d'argent à la plaque
de verre. Cette petite page, où sont sommairement cités
(quoique sans les proportions) tous les agents auxquels il recourt et
les effets qu'il en tire, sera réduite à une simple allusion
dans la seconde version du traité, en juillet 1851 ; n'ayant
pas repris, perfectionné et exploité son procédé
entre-temps, Le Gray, avec son ingénuité habituelle, ne
paraît pas encore s'inquiéter des concurrents qui sont en
train de le doubler et se flatte au contraire des succès qu'il
estime avoir favorisés : "Le collodion que j'ai indiqué
dans ma précédente brochure donne, appliqué sur le
verre, de très bons résultats, et plus de rapidité
que l'albumine. Les Anglais ont mis en pratique ce procédé,
et réussissent parfaitement dans son emploi". Mais la polémique
éclate dès cette année, déclenchée
par la publication détaillée du procédé au
collodion de Frederick Scott Archer, où le rôle pionnier
de Le Gray est passé sous silence. Elle va durer quelques années
et faire couler une certaine quantité d'encre, au même titre
que bien d'autres escarmouches de la rivalité politique, scientifique
et commerciale qui oppose Français et Anglais. Les circonstances
sont bien connues des historiens, qui n'ont pu que prendre acte du fait
qu'Archer avait, le premier, fourni aux photographes des instructions
complètes et efficaces. Comme bien souvent en pareil cas, on peut
juger que les inventeurs avaient tous deux contribué de bonne foi
à l'élaboration du procédé, et qu'ils eurent
plutôt à souffrir d'une rivalité aux enjeux plus larges,
attisée par leur entourage. Aucun n'en tira profit : Archer ne
déposa pas de brevet (ce qui contribua à la diffusion du
procédé) et mourut presque oublié. La lettre de sa
veuve, qui défend par d'éloquents témoignages le
souvenir d'un homme intègre injustement offensé, fait pendant
au plaidoyer de Maufras pour l'inventeur
martyr Le Gray, fort du verdict de "princes de la science" tels
qu'Arago et le chimiste Gerhardt. |