Naissance de la Culture Française

Les souverains, les abbés et les clercs

Savoir et pouvoir dans la France médiévale

(fin VIIIe siècle - fin XVe siècle)

Lorsque, vers le milieu du VIIIe siècle la dynastie carolingienne succède aux Mérovingiens, le souverain est bien plus qu'un chef de guerre; c'est une figure quasi-religieuse, le chef très chrétien à la tête de son peuple, assimilé au nouveau peuple élu. Cette double "fonction" explique les liens puissants qui tout au long du Moyen Age uniront politique, culture et religion.
Dès l'époque carolingienne, les souverains protègent les abbayes. Ils incitent les moines, ces "soldats du Christ" à une étude rigoureuse des textes bibliques qui les prépare à conduire les fidèles sur la voie du salut. Leurs cours deviennent des centres intellectuels de première importance, un relais essentiel pour la transmission de la culture antique en Occident. Toutefois, les grandes abbayes, Saint-Denis, Corbie et Cluny par exemple, - parce que leurs scriptoria constituent les centres de production et d'étude des textes - restent les foyers majeurs de la vie intellectuelle, au moins jusque vers les XIIe et XIIIe siècles.
Saint-Denis près de Paris, tout d'abord. Abbaye royale par excellence, elle abrite les tombeaux des souverains; elle garde les insignes royaux ou regalia; elle détient l'oriflamme, cette bannière rouge-orangée qui flotte aux côtés du roi dans les combats. Riche, étroitement liée aux abbayes italiennes, elle est un des foyers de la Renaissance carolingienne. Mais aussi Corbie, près d'Amiens, avec sa riche bibliothèque, ses polémistes, ses théologiens de talent. Les recherches typographiques de ses copistes jouent un rôle non négligeable dans l'élaboration de la minuscule caroline, cette nouvelle écriture, posée et claire. Un peu plus tard, au Xe siècle, l'abbaye de Cluny entre en scène. Sa réforme, son réseau d'abbayes qui maillent l'Europe, la placent au centre de la vie spirituelle, et avec elle sa vocation à la prière.
À partir des XIIe et XIIIe siècles, le pouvoir se déplace des campagnes vers les villes. Les grandes abbayes perdent leur prééminence au profit de la royauté. Paris, devenu le coeur vivant du royaume, abrite ses institutions administratives et judiciaires. Place de grand commerce, elle est aussi un centre artistique réputé. Désormais, la "religion royale", avec sa devise "un roi, une foi" règne en maître. Nombreux sont les emblèmes, les symboles, les cérémonies qui la célèbrent un peu partout, et dans les manuscrits aussi.
Au premier rang des rites de cette "religion royale", la cérémonie du sacre. Elle avait traditionnellement lieu dans la cathédrale de Reims. Elle faisait du roi "l'oint de Dieu", lui conférant un caractère quasi-sacerdotal, avec la grace particulière de guérir les écrouelles. Puis venaient les entrées dans les villes et les mariages royaux. Rehaussant le prestige du roi, ils affirmaient aux yeux de son peuple sa souveraineté. Les regalia ou insignes royaux en étaient les symboles: anneau, éperons, sceptre, couronne et main de justice. Ils étaient conservés à l'abbaye de Saint-Denis.
Très tôt conscients de l'autorité et du prestige que conférait la maîtrise de l'écrit, les souverains surent également appréhender la puissance des images, et ne négligèrent en rien les manuscrits magnifiquement enluminés. Il suffit de rappeler la violence avec laquelle les huguenots au XVIe siècle, les révolutionnaires au XVIIIe siècle cherchèrent à détruire les représentations matérielles de l'autorité royale pour comprendre la force de ces images qui symbolisent le pouvoir.

 
2. Lectionnaire sur parchemin teint en pourpre, Italie du Nord (Monza?), vers 800
Département des Manuscrits, Latin 9451.
Parchemin
 

Les Lectionnaires, qui rassemblent les lectures bibliques de l'office (Ancien Testament, Épîtres, Évangiles) figurent parmi les plus luxueux manuscrits illustrés du Haut Moyen Age. Images de la parole divine, ils étaient portés en procession dans l'église et jusqu'à l'autel, puis à l'ambon où le diacre faisait les lectures. L'or, l'argent et la pourpre symbolisent le royaume céleste, les récompenses de la Vie éternelle et la splendeur dans laquelle les paroles de Dieu rayonnent.


3. Bible du comte Rorigon, Tours, vers 835
Département des Manuscrits, Latin 3
Parchemin

L'abbaye Saint-Martin de Tours fut durant la première moitié du IXe siècle un centre éditorial de première importance. On a recensé pas moins de 45 bibles qui paraissent provenir de ce scriptorium réputé. Ce sont en général d'énormes bibles de format monumental et de plus de 400 feuillets, qui contiennent le texte complet de la bible. Elles étaient destinées à l'empereur, aux grands princes de la famille carolingienne, aux évêques, ou à d'autres abbayes. Copiée pour un des gendres de Charlemagne, le comte Rorigon, cette bible offre un remarquable exemple du nouveau type d'écriture qu'était la minuscule caroline.

5. Trône de Dagobert, France, fin VIIIe-IXe siècle (?)
Département des Monnaies, Médailles et Antiques, no 651

Copie en résine d'un fauteuil en bronze qui faisait partie du Trésor de l'abbaye de Saint-Denis près de Paris, et que le Moyen Age a attribué au roi Dagobert (623/629-639). Napoléon l'utilisa lors de la création de l'ordre de la Légion d'honneur.
Le Trésor de la Basilique de Saint-Denis est attesté dès les VIIIe-IXe siècles. De tels trésors jouèrent au Moyen Age et jusqu'à la fin du XVIIIe siècle le rôle d'une réserve de biens monnayables. En cas de guerre, ses pièces précieuses pouvaient être fondues ou mises en gage.

7. Sacramentaire à l'usage de Saint-Denis, 2ème moitié du
IXe siècle
Département des Manuscrits, Lat. 2290
Parchemin

Destiné à l'abbaye de Saint-Denis, ce sacramentaire fut
copié et illustré à l'abbaye de Saint-Amand-en-Pévèle, près Valenciennes, dans la seconde moitié du IXe siècle. Il s'agit très vraisemblablement d'une commande de Charles le Chauve lui-même pour son abbaye préférée, Saint-Denis. Comme cela est habituel pour les sacramentaires carolingiens, seule la Préface et le Canon de la messe sont illustrés, ici, dans un très beau style franco-saxon, purement ornemental, qui marque la fin de l'emluminure carolingienne.


10. Graduel à l'usage de Saint-Michel de Gaillac, près d'Albi, vers le milieu du XIe siècle, avant 1079
Département des Manuscrits, Lat.766
Parchemin

Le Graduel était un livre liturgique essentiel, qui primitivement contenait les chants du Propre de la messe. Il tire son nom des premières marches (gradus) de l'ambon où prenait place le soliste qui faisait les répons. Peint dans un style remarquablement décoratif, fait de motifs géométriques et d'entrelacs merveilleusement décorés, ce manuscrit témoigne de la richesse culturelle des monastères du Midi aquitain, au XIe siècle. Il est également capital sur le plan musical, car il conserve des éléments du chant gallican pratiqué en Gaule avant l'introduction du chant grégorien par les Carolingiens.

13. Psautier-Hymnaire de Saint-Germain des Prés, Paris, vers le milieu du XIe siècle
Département des Manuscrits, Lat. 11550
Parchemin

L'abbaye parisienne de Saint-Germain-des-Prés fut durant tout le Moyen Age et jusqu'au XVIIIe siècle un centre intellectuel réputé et rayonnant. La basilique avait été fondée par Childebert, le fils de Clovis, vers 531. Très rapidement des moines s'installèrent autour de cette église située dans les prairies du bord de la Seine. Au XIe siècle, l'abbaye abrite un scriptorium florissant.
Ce psautier-hymnaire, d'un imposant format, est la pièce-maîtresse de sa production, et apparaît comme un des rares témoignages subsistant de l'art roman en Ile-de-France. Une représentation traditionnelle de David et de ses musiciens ouvre le Psautier, qui débute par un magnifique B (Beatus vir...).


15. Ordo du sacre de 1250, Paris, milieu XIIIe siècle
Département des Manuscrits, Lat.1246
Parchemin

Les quinze miniatures de l'Ordo du sacre de 1250 déroulent sous nos yeux le plus ancien cycle iconographique connu du sacre d'un roi de France, et ce, sous saint Louis, alors que le rituel a acquis la forme presque définitive qu'il conservera jusqu'en 1825 (sacre de Charles X). La cérémonie du sacre avait traditionnellement lieu dans la cathédrale de Reims en présence des pairs ecclésiastiques et laïcs du royaume. L'archevêque de Reims officiait, secondé par l'abbé de Saint-Rémi de Reims dont l'abbaye conservait la Sainte Ampoule, et par l'abbé de Saint-Denis qui apportait avec lui pour la circonstance les insignes royaux dont l'abbaye était dépositaire. Ce manuscrit fut consulté pour les sacres de François Ier (1515) et de Henri IV (1594).


20. Gossouin de Metz, Image du Monde, Paris, vers 1315-1320.
Département des Manuscrits, Fr. 574
Parchemin

L'Image du Monde de Gossouin de Metz est, semble-t-il, le plus ancien traité encyclopédique français rédigé en langue vernaculaire. Écrit en vers, en dialecte lorrain, il fut composé en 1246, pour Robert d'Artois (1216-1250), le frère de saint Louis, qui souhaitait connaître comment le monde avait été "fabriqué. Ce manuscrit en présente une version française en prose, rédigée à la fin du XIIIe ou au début du XIVe siècle. L'auteur y distribue son propos en trois parties: Dieu et l'intelligence humaine; la nature et les éléments du cosmos; les phénomènes physiques et l'astronomie. Sont représentés ici trois des sept arts libéraux, qui organisent le savoir au Moyen Age: la Logique, la Rhétorique et l'Arithmétique.


23. Guillaume de Saint-Pathus, Vie et miracles de saint Louis, (Page gauche) (Page droite),Paris, vers 1330-1340
Département des Manuscrits, Fr. 5716
Parchemin

Composé pour Blanche de France, fille de saint Louis, morte en 1320 au couvent des cordelières de Lourcine, fondé par elle au faubourg Saint-Marcel à Paris, ce récit est la traduction française d'un original latin, aujourd'hui perdu qui servit au procès de la canonisation du saint roi. Les quatre-vingt-dix illustrations de ce manuscrit se répartissent en deux séries distinctes: les premières se rapportent aux faits édifiants de la biographie du roi (ici la dévotion du roi à la Sainte Croix); les secondes illustrent les miracles accomplis sur la tombe du souverain, à l'abbaye de Saint-Denis.


24. Guillaume de Machaut (ca 1300-1377), Oeuvres, Paris, vers 1350-1355
Département des Manuscrits, Fr. 1586
Parchemin

Poète et compositeur novateur, le champenois Guillaume de Machaut est une figure de premier plan de la littérature et de la musique française au XIVe siècle. Sa célèbre Messe du Couronnenment mise à part, son art est d'inspiration essentiellement profane et trouve son expression la plus achevée dans une série de Dits, fictions narratives versifiées farcies de place en place de pièces lyriques et musicales, où l'auteur célèbre avec bonheur les thèmes traditionnels de l'amour courtois. Ce manuscrit est le plus ancien manuscrit connu des oeuvres de Machaut, peut-être destiné à un membre de la famille royale.


25. Denis Foulechat, traduction du Policraticus de Jean de Salisbury, Paris, vers 1372
Département des Manuscrits, Fr. 24287
Parchemin

En 1372, Charles V (1364-1380) confia au franciscain Denis Foulechat la traduction d'un des textes les plus importants que le Moyen Age ait connu en matière de théorie politique, le Policraticus de Jean de Salisbury. Rédigé en 1159, par un humaniste anglais éminement cultivé, secrétaire et ami de Thomas Beckett, il présentait une vision en quelque sorte théocratique de l'État, et posait pour la première fois la question de la légitimité monarchique et celle du tyrannicide. Ici, assis, sur une de ces chaires de jugement où l'on rendait la justice, le "sage' roi Charles V, reconnaissable à son haut front et à son grand nez, désigne du doigt le manuscrit posé sur une roue à livres (Beatus vir qui in sapientia morabitur). C'est l'image du roi savant et juste que la main de Dieu bénit.

27. Les Chroniques de France selon ce qu'elles sont composées en l'église Saint-Denis en France, Paris, vers 1370.
Département des Manuscrits, Fr. 10135
Parchemin

Fait vraisemblablement pour Charles V, vers 1370, ce manuscrit contient les Chroniques de France, rédigées en français à l'abbaye de Saint-Denis, jusqu'à la mort de Philippe VI de Valois (1350). C'est une histoire de France à tendance religieuse et baroniale. Le manuscrit s'ouvre sur une peinture retraçant en quatre compartiments quadrilobés la légende de l'origine troyenne des Francs: débarquement des Grecs en Asie Mineure, attaque de Troie, fondation de Sycambria par Francion, victoire du roi des Francs sur l'empereur des Alains.


29. Psautier du duc de Berry, Bourges, vers 1386-1390
Département des Manuscrits, Fr. 13091
Parchemin

Jean de France, duc de Berry (1340-1416), était le troisième des quatre fils de Jean le Bon, tous également réputés pour leur train de vie fastueux. A son nom sont associées quelques-unes des plus belles créations de l'enluminure du Moyen Age finissant. Commandées à une série d'artistes d'exception qu'il avait su attacher à son service, ces oeuvres portent la marque des goûts personnels de ce mécène raffiné. Ainsi en est-il de ce célèbre Psautier. Le texte est précédé par un cycle de vingt-quatre peintures en grisaille attribuables au sculpteur Jacquemart de Hesdin. Elles constituent une des plus remarquables interprétations d'un thème iconographique très populaire au Moyen Age, celui du Credo apostolique. Ici, David et saint André.

30. Christine de Pizan (1364- après 1429), Le Livre de la Cité des Dames, Paris, vers 1405
Département des Manuscrits, Fr. 607
Parchemin

Première femme écrivain vivant de sa plume, défenseur de la condition féminine, Christine de Pizan apparaît comme un mythe. Fille d'un astrologue et médecin de Charles V, veuve à trente ans, elle rédigea une oeuvre prolixe, en grande partie de commande qu'elle offrit aux princes de la famille royale. Ici, Christine reçoit Raison, Droiture et Justice dans sa chambre d'étude. Avec elles, elle pose les fondements d'une Cité où habiteront les femmes de bonne renommée, celles qui par leur vertu, leur sagesse, leurs bienfaits ont le plus servi la cause de leurs semblables. La Cité sera couronnée par les mérites de la Vierge et des saintes.

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