Huis clos (1944)
  Pièce en un acte. Création à Paris, théâtre du Vieux-Colombier, le 27 mai 1944. Mise en scène de Raymond Rouleau, décors de Max Douy. Avec Michel Vitold (Garcin), Tania Balachova (Inès), Gaby Sylvia (Estelle), René-Jacques Chauffard (le garçon d'étage).
   
 
  
    Durant l'été 1943, Sartre commence d'écrire une pièce dans des circonstances particulières. Selon Simone de Beauvoir (La Force de l'âge), il s'agit d'une œuvre commandée par Marc Barbezat pour faire plaisir à deux jeunes femmes, Olga Kechelievitch, sa future femme, et l'amie de Sartre Wanda Kosakiewicz, qui voulaient jouer une pièce, la faire tourner en province et acceptaient de la financer. "La cause occasionnelle c'est que, au moment où j'ai écrit Huis clos, en 1943 et début 1944, j'avais trois amis et je voulais qu'ils jouent une pièce, une pièce de moi, sans avantager aucun d'eux. C'est-à-dire que je voulais qu'ils restent ensemble tout le temps sur la scène."

Sous l'Occupation comme à la Libération, une partie de l'opinion est passée à coté d'une œuvre sur la liberté, pour l'homme, de passer un accord avec lui-même, thème particulièrement fort dans Huis clos, mais brouillé par l'incompréhension de la critique et du public. Ce qu'on prend pour du nihilisme provocateur explique les atermoiements de la censure allemande sur l'autorisation de la représentation, reprise puis rendue. Emblématiquement, Huis clos eut le mérite d'anticiper une manière de penser la philosophie et de répondre à des questions que la jeunesse intellectuelle ne savait pas encore se poser. Cette approche de l'absurde qui subit et illustre l'influence de la philosophie de Husserl fait le constat de valeurs objectives à l'intention de toute une nouvelle génération. Sartre apparaît comme un maître à penser de ces "temps modernes". Peu après la guerre, pourtant, Sartre renie quelque temps Les Mouches et Huis clos, qu'il étiquette pièces de circonstance et non théâtre d'engagement.
  
 
   

 

Sous prétexte de "dramatiser certains aspects de l'existentialisme", Sartre choisit de traiter de l'enfermement, un thème récurrent dans son œuvre et inspiré de l'expérience du stalag et du perpétuel regard des autres. Un enfer préside au choix de ce drame, bref, dans le huis clos d'un seul décor, avec quelques personnages – toujours en scène ensemble, donc, pour ne pas faire de jaloux parmi les acteurs. Sartre s'explique sur le sens de la pièce et de la fameuse réplique : " "l'enfer c'est les autres" a toujours été mal compris. On a cru que je voulais dire par là que nos rapports avec les autres étaient toujours empoisonnés, que c'était toujours des rapports infernaux. Or, c'est tout autre chose que je veux dire. Je veux dire que si les rapports avec autrui sont tordus, viciés, alors l'autre ne peut être que l'enfer. Pourquoi ? Parce que les autres sont au fond ce qu'il y a de plus important en nous-mêmes pour notre propre connaissance de nous-mêmes." (Un théâtre de situations)
   

    La création au Vieux-Colombier

Après avoir pressenti Sylvain Itkine, Sartre sollicite Albert Camus, qui avait fait l'expérience du théâtre amateur à Alger, à la fois pour monter la pièce et interpréter le rôle de Garcin. Des répétitions commencent dans la chambre d'hôtel de Simone de Beauvoir, rue de Seine. À cause de difficultés matérielles et de l'arrestation d'Olga Barbezat, l'affaire échoue. Lorsqu'il reprend le bail du Vieux-Colombier en 1943, Paul Annet-Badel, homme d'affaire avisé et ancien avocat, ambitionne d'explorer un répertoire dramatique digne de l'histoire de ce théâtre. Le spectacle pour public d'initiés tassé dans de petites salles est à la mode. Alerté par Gaston Gallimard, l'éditeur de Sartre, Annet Badel s'intéresse à la pièce, d'abord intitulée "Les autres". Sartre se laisse convaincre de confier la mise en scène à Raymond Rouleau, qui distribue les rôles à Michel Vitold pour le personnage de Garcin – que Camus devait interpréter –, à Tania Balachova (Mme Raymond Rouleau) pour Inès, à Gaby Sylvia (l'épouse d'Annet-Badel) pour Estelle et à René-Jacques Chauffard (ancien élève de Sartre et seul comédien restant de la distribution prévue initialement) pour le personnage du garçon d'étage.