Peintures et couleurs


Toghril Châh fait venir Nezâmî
La mort de Majnuông


Le manuscrit comprend 34 peintures qui s’inscrivent dans la pure tradition de la peinture persane des XVe et XVIe siècles. Ce sont de simples peintures à la gouache, polies longuement après séchage pour obtenir un effet brillant.

Une peinture marquée par les préceptes de Coran

Dans la religion islamique, l’homme ne doit pas se prendre pour Dieu et ne peut imiter la création. Aussi la peinture marque-t-elle une différence entre le monde réel créé par Dieu et le monde de la représentation créé par l’homme.



Chîrîn vient voir
Farhâd, détail


Invraisemblance des couleurs, absence de perspective, absence de modelé des corps, de relief des formes contribuent à l’affirmation de l’irréalité de cet univers.

Les paysages semblent constitués en plusieurs plans comme un décor de théâtre. Les couleurs des premiers plans ne sont pas plus vives que celles des arrière-plans. La taille des personnages ne diminue pas avec la distance. Les plantes des jardins ou celles des tapisseries ont le même aspect décoratif. Jour et nuit se confondent. Erables à l’automne et cerisiers en fleurs au printemps se côtoient.

Un parti pris d’irréalisme

Souvent, les scènes sont vues d’en haut comme d’une montagne ou d’une terrasse. Mais il n’est pas rare que se juxtaposent vision surplombante et vue de profil. Ainsi, dans les noces de Koshrow et Chîrîn, les amants sont de profil sur un lit, vue du dessus. De même, les personnages de profil près du bassin, vue de haut.

Khosrow voit Chîrîn près de la source

Les noces de Khosrow et Chîrîn Sur le chemin du Mont de Bizotoûn

Khosrow voit Chîrîn
près de la source

Les noces de Khosrow
et Chîrîn
Sur le chemin du Mont de Bizotoûn
 
Le peintre montre parfois qu’il saurait respecter les règles de la perspective. Il ne faut voir dans ces bizarreries ni maladresse ni naïveté. Il s’agit bien d’un parti pris délibéré de l’artiste qui, à travers ce monde imaginaire, contourne d'une certaine manière les interdits religieux.

Une vision mystique du monde

Si Nezâmî s’appuie sur les mêmes légendes historiques que ses prédécesseurs, il les transforme en leçons morales ou en visions mystiques.

Dans ces paysages intemporels, le lecteur peut tout à la fois se délecter «des merveilles des choses créées et prodiges des choses existantes», trouver force et sérénité face à une nature qui s’offre dans la continuité de ses cycles, de l’ombre des fleurs, aux couleurs de l’automne et sourire de la futilité des choses humaines qu’il contemple à distance et de haut.

Madjnoûn devient  familier des animaux, détail

Madjnoun devient
familier des animaux
sauvages et des fauves

Madjnoûn devient familier des animaux sauvages et des fauves Madjnoûn devient  familier des animaux, détail

Toutefois, la peinture déborde parfois de son cadre. Le monde de la représentation tenterait-il de rejoindre le réel ?

Codes picturaux et éléments du réel

Khosrow organise une réception
Khosrow organise
une réception


Khosrow voit Chîrîn près de la source, détail
Khosrow voit
Chîrîn près de la source,
détail

Dans ces images où tout semble arbitraire (couleurs, compositions, constructions architecturales, fleurs et personnages), apparaissent parfois des éléments réalistes très contemporains de l’artiste.

A côté des rochers ou des images en flammèche, lointaines répliques de peintures chinoises, des fleurs aux motifs souvent répétés d’une peinture à l’autre, des arbres aux branches entrelacées évoquant la relation amoureuse, qui forment, autant de codes formels dans la tradition des siècles précédents, certains détails datent précisément l’œuvre.

Ainsi, les chevaux sont pourvus d’étriers, les armes du combat sont réalistes, les coiffes des paysans sont celles de l’époque et les chapeaux des courtisans, ceux à la mode à la cour d’'Abbâs le Grand

Réaliste ou imaginaire, chaque élément est traité avec un grand sens du détail, une minutie qui contraste avec le traitement des visages tous très semblables. Il en est même parfois difficile de reconnaître le prince parmi ses courtisans.

Prolifération des couleurs

Bahrâm écoute l'histoire de la fille de Cesar de Byzance
Bahrâm écoute
l'histoire de la fille
de César de Byzance

Le peintre utilise une palette de couleurs très riche à base de pigments d'origine minérale ou organique couramment utilisés autour de la Méditerranée depuis l’Antiquité :

- blanc de céruse,
- Jaune de l’ocre, du safran ou de l’orpiment,
- laque rouge végétale ou extraite de la cochenille,
- orange du minium, du réalgar (sulfure d'arsenic)
ou du cinabre (sulfure de mercure),
- bleu outremer du lapis lazuli ou bleu de l’indigo

Bahrâm écoute l'histoire de la fille du roi de Chine
Bahrâm écoute
l'histoire de la fille
du roi de Chine

Certaines couleurs s’obtiennent avec des mélanges de pigments :

- Vert par mélange de l’indigo et de la céruse,
- Chair par mélange de la céruse et du minium,
- Bleu ciel par mélange de l’indigo et de la céruse,
- Violet par mélange du lapis lazuli, du cinabre et de la laque.

L’or et l’argent étaient utilisés en solution ou en feuille. La couleur argentée des fleuves nous apparaît en général noire par oxydation du métal.


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