Denis Vairasse,
L’Histoire des Sevarambes...
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Quant à la ville de Sevarinde, qui porte son nom, on peut dire que c’est la plus belle ville du monde, soit qu’on regarde le lieu de la situation, et le terroir fertile qui l’environne, soit que l’on considère la beauté du climat et l’air salubre où elle est bâtie, ou enfin l’ordre de ses bâtiments et la bonne police qu’on y observe.
Elle est située dans une île qui a près de trente milles de circuit et qui est au milieu d’un très grand fleuve où se déchargent plusieurs autres rivières. Cette île est ceinte d’une épaisse muraille, qui la fortifie tout à l’entour, de sorte qu’il est presque impossible d’y faire descente sans la permission des habitants, quand on aurait la plus grande armée du monde. Le terroir en est entièrement fertile et produit une prodigieuse quantité de fruits excellents, et toutes les terres des autres côtés du fleuve sont aussi d’une merveilleuse fertilité à plus de vingt lieues à la ronde. L’air y est extrêmement sain et le climat fort beau, étant environ le 42e degré de latitude méridionale.
Elle est bâtie au milieu de l’île, sa figure est carrée et elle contient déjà, outre son palais qui est au centre de la ville, deux-cent-soixante-sept osmasies ou bâtiments carrés, tous pleins d’habitants. Chacune de ces osmasies a cinquante pas géométriques de front et contient plus de mille personnes logées à leur aise, ayant chacune quatre grandes portes opposées l’une à l’autre, et au milieu une grande cour avec de la verdure. Ses murailles sont d’une espèce de marbre ou pierre blanche qui se polit fort bien, et les maisons ont toutes quatre étages de hauteur.
Dans toutes les rues qui sont fort droites et fort larges, il y a des piliers de fer qui soutiennent de larges balcons, sous lesquels on marche à couvert de la pluie et du soleil. Sur ces balcons on voit plusieurs beaux vases remplis de terre, où croissent diverses fleurs et divers arbrisseaux qui font comme autant de petits jardins contre les fenêtres. Au dedans des osmasies tout à l’entour de la cour, il y a de pareils balcons et de semblables jardins et de la verdure au milieu de la cour où l’on voit aussi une fontaine et un jet d’eau au centre de la fontaine et de la maison. Cette eau vient du haut du toit, où on la fait monter d’ailleurs pour éteindre le feu en cas de nécessité, et de là on la distribue dans les bains, dans divers offices, dans tous les appartements, et enfin dans la fontaine du parterre par divers tuyaux qu’on a mis en plusieurs endroits pour cet usage. On lave les rues de la ville quand on veut, et l’on pourrait y mettre trois pieds d’eau si l’on voulait, ce qui se voit rarement dans un terrain élevé comme celui-là et qui n’a rien du marécage. On peut marcher sur les toits des osmasies,et en faire le tour, comme aussi y faire courir l’eau tout à l’environ. Dans les grandes chaleurs de l’été, on tend des toiles sur les rues aussi haut que les tuiles des maisons, ce qui les rend fraîches et sombres, et en exclut tout à fait les rayons du soleil, si bien qu’on n’y est presque pas incommodé de la chaleur. On en fait de même dans les cours, et pour cet effet il y a des poulies contre les murailles où l’on met des cordes auxquelles les tentes sont attachées, et par ce moyen on les tire bien haut, pour empêcher les rayons du soleil de luire contre les murailles, et de les échauffer, ce qu’il ferait sans cela, et la chaleur en serait insupportable. Toutes ces commodités font que bien que l’été soit fort chaud dans tout le pays, néanmoins il n’est point incommode dans Sevarinde, et je puis dire que je n’en ai point passé en aucun endroit de l’Europe où il fut moins fâcheux que dans cette ville, où l’on voit partout de l’eau, de l’ombre, des fleurs et de la verdure.
Les principaux ornements de la ville sont le Palais et le Temple du Soleil. L’amphithéâtre et le bassin, qui est au bout de l’île ; mais comme elle est toute environnée de fortes murailles, on la prendrait aisément pour une ville.
Comme Sevarinde est située au milieu de cette île, aussi cette île est presque au milieu des terres qui appartiennent à la Nation : car on a pour maxime de ne s’étendre que peu à peu aux environs de la ville capitale à mesure que le peuple s’augmente. Il est vrai qu’à compter depuis la mer jusqu’aux dernières osmasies au-dessous de Sevarinde, tout le long du fleuve, il y a près de cent cinquante lieues et la plupart de ce pays est habité par les Sevarambes presque en une ligne ; mais si l’on prend la traverse à vingt lieues de chaque côté de l’île, on ne voit plus que de grandes forêts habitées seulement par des lions, des tigres, des erglantes, des cerfs, des bandelis et autres bêtes sauvages ; mais ces forêts appartiennent aux Sevarambes à près de cinquante lieues de chaque côté de leur capitale, et encore plus loin, tout le long du fleuve en tirant vers la mer, et il y a bien quarante lieues en montant vers Sevaragondo, qui est la première ville de Sevarambe, sur le haut des montagnes en venant de Sporonde. Tout le pays au-delà des monts sur le rivage de l’océan, où demeuraient autrefois les Prestarambes, n’est habité que jusqu’aux petites îles du lac, où Maurice et les compagnons furent pris, encore n’est-ce que sur le chemin de Sporonde à Sevarinde ; car Sevarias ayant contracté tous ces peuples qui étaient dispersés dans les bois, où il ne vivaient que de chasse, de fruits sauvages, et de quelques légume et leur ayant appris à cultiver la terre à la manière de notre continent, il leur en fallut beaucoup moins occuper, parce qu’un arpent bien cultivé leur rendait plus de fruits que cinquante arpents cultivés à leur manière. Ils se serrèrent donc autour de Sevarinde au commencement, et de là il se sont peu à peu répandus tout aux environs à près de vingt lieues sur les côtés du fleuve, et à près de trente au-dessous de la ville du côté de la mer du Sud, où ils s’habituent plus volontiers qu’aux autres endroits, à cause de la commodité du fleuve et des autres rivières qui s’y déchargent. Ils font souvent de nouvelles colonies car ils multiplient beaucoup, et il y a déjà dans toutes leurs terres près de cinq mille Osmasies ramassées en ville ou en bourgs, ou dispersées en divers endroits du pays, trois en des lieux, deux en d’autres, mais on en voit aussi de toutes seules.
Toutes les terres cultivées y sont, comme j’ai déjà dit, d’un grand rapport, soit à cause de leur fertilité naturelle, ou par l’industrie des habitants qui n’en peuvent souffrir d’inutiles autour de leurs habitations et qui n’épargnent ni soins, ni peines, pour fertiliser jusqu’aux lieux les plus fertiles ; et surtout aux environs de Sevarinde. Pour cet effet, ils ont fait divers canaux à travers de leurs plaines, pour arroser partout, les lieux arides, et d’autres pour dessécher les terres marécageuses. Il y a deux endroits proches de Sevarinde, où paraissent agréablement en cela les effets de leur labeur et de leur industrie.
L’un est à trois milles au-dessous de la ville, et dans la même île où elle est bâtie, où l’on voit de très belles prairies et des allées d’arbres fort touffus.
Avant l’arrivée de Sevarias, ce lieu présentement si beau, n’était qu’un marais bourbeux et puant, qui ne produisait que des roseaux ; mais par le moyen des canaux qu’ils y ont creusés, et de la grande quantité de terre qu’ils y ont porté, ils en ont fait un terrain très fertile et très agréable.

Denis Vairasse, L’Histoire des Sevarambes, peuples qui habitent une partie du troisième continent appelé [sic] la Terre australe
Paris : C. Barbin, 1677, tome II, p. 248/264 Gallica.