Simon Tyssot de Patot,
Voyages et aventures de Jacques Massé
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La naissance du pays

Dieu, disaient-ils, a été de toute éternité ; le ciel et la Terre ne sont pas si anciens. Aussitôt que l’Univers fut créé, la Terre qui est un corps animé, étant charmée de la beauté éclatante du Soleil, en devint éperdument amoureuse. Elle fit diverses tentatives pour s’élever jusqu’à lui, mais ses élans furent inutiles : la pesanteur de sa masse faisait obstacle à ses élancements, elle ne pouvait s’élever que jusqu’à une fort petite distance. Le Soleil s’aperçût de ses secousses et de ses prodigieux trémoussements, il eut pitié d’elle, et s’étant couvert de nuages extrêmement épais, de peur de la mettre plus en feu et de la consumer tout à fait, il s’approcha d’elle, la pénétra de ses rayons jusqu’au fond de ses entrailles, et se retira sur le champ. La Terre en conçût d’abord : trois cent soixante-cinq jours et un quart après, son ventre s’ouvrit, et elle accoucha d’un homme et d’une femme, l’un et l’autre d’une beauté et d’une majesté surprenantes. Ces deux charmantes personnes s’étant avancées du côté de la campagne où ils avaient trouvé une multitude innombrable de toutes sortes d’arbres chargés d’excellents fruits, ils eurent la curiosité de parcourir tout le terroir qu’ils trouvèrent accessible. Enfin, étant parvenus jusqu’aux extrémités australes de ce vaste pays, ils le trouvèrent borné par des montagnes impraticables. Ce fut là que Mol et Mola sa Femme, car c’est ainsi que l’on dit qu’ils se nommaient, eurent quelque contention, elle voulant tirer à droite, ou retourner sur ses pas, et lui au contraire, étant d’opinion qu’il fallait faire un effort pour passer outre, de sorte que s’étant mis en colère, parce qu’il se voyait obligé de rompre son dessein, à cause de l’opiniâtreté de sa femme, il frappa de dépit si rudement du pied contre le rocher qu’il s’y fit une ouverture par laquelle l’eau sortit en abondance et forma une rivière, qui s’alla précipiter dans le creux, dont les deux jumeaux étaient sortis : ce qui refroidit tellement la matrice de la Terre, que depuis ce temps-là elle n’a plus eu aucune envie de se joindre à son amant le Soleil, et ainsi n’a jamais eu d’autres enfants.
Ils ajoutaient à ce beau conte, que c’était de ces deux personnes qu’étaient descendus les habitants de leur pays, qu’ils croyaient être le seul endroit du monde qui fut habité. Aussitôt que le Portugais fut arrivé, et qu’il eut fait le récit de ses aventures, on connut bien qu’on n’était pas là le seul peuple de l’Univers, et que le prétendu enfantement de la Terre, n’était qu’une fable, d’où s’ensuivirent les révolutions dont je viens de faire mention. Depuis ce temps-là, les rois et leurs sujets avaient vécu avec beaucoup de tranquillité et d’harmonie : ils se louaient extrêmement les uns des autres. En effet, j’ai toujours vu que le peuple avait infiniment du respect pour leur Souverain, et que réciproquement le Roi d’à présent témoignait de l’empressement à donner des marques de sa tendresse à tous ceux qui approchaient de sa personne. Il était civil en général à tout le monde, et pour nous en particulier, il est sûr que cela passait les bornes.

Tyssot de Patot (Simon), Voyages et avantures de Jaques Massé
1710. La Haye : Ed. de Bourdeaux : J. L’Aveugle, 1710 : " La naissance du pays ", p. 213/215.