Le Paris d'Émile Zola
Monstre irrésistible ou théâtre du Progrès ?

   

"J'avais rêvé d'écrire un roman dont Paris […] serait un personnage, quelque chose comme le chœur antique."

Émile Zola, Une page d'amour, lettre préface
 
  Personnage à part entière dans Une page d'amour, le Paris de Zola est un Paris disparu, étonnant lieu de mémoire, intégrant des éléments de modernité transfigurés, sur fond de métamorphose urbaine. Mais c'est aussi un Paris imaginé, inventé de toutes pièces.
En observant le "panorama" de la capitale, Zola s'inscrit dans une tradition chère à bon nombre d'écrivains du XIXe siècle à partir de Balzac et Flaubert. Une description de Paris clôt les cinq chapitres d'Une page d'amour, marquée à la manière des séries de Monet par des variations de lumière et de "tempérament", entrevue "à des heures et dans des saisons différentes". Paris émerge ainsi du brouillard au petit matin, rayonne avec l'amour d'Hélène ou au contraire sombre sous une pluie glaciale à la mort de Jeanne. "Il me fallait un drame intime, trois ou quatre créatures dans une petite chambre, puis l'immense ville à l'horizon, toujours présente, regardant avec ses yeux de pierre rire et pleurer ces créatures" (lettre préface, 1884).
En réduisant son angle de vue, Zola procède à la manière d'un photographe. Il focalise sur un quartier : les Halles (Le Ventre de Paris), la plaine Monceau (La Curée), la Goutte-d'Or (L'Assommoir) deviennent des entités à part entière, véritables objets-sujets du roman. À la manière d'un ethnologue, l'écrivain analyse le quartier et la société qui l'habite : stigmatisant, avec Gervaise dans L'Assommoir, "sous le luxe montant de Paris, la misère du faubourg [qui] crevait et salissait ce chantier d'une ville nouvelle, si hâtivement bâtie", ou partageant, avec Florent, le héros insoumis du Ventre de Paris, un sentiment mitigé - admiration et répulsion mélangées - sur les Halles, véritable cathédrale de verre et d'acier dévolue à l'absorption et la régurgitation. Contemplées du haut de sa mansarde, "elles lui semblaient la bête satisfaite et digérant, Paris entripaillé, cuvant sa graisse, appuyant sourdement l'Empire". Le "ventre boutiquier" des Halles est bien l'arène où s'affrontent, dans une lutte sans merci, les "gras" (la "belle Normande", Lise Macquart) et les "maigres" (Florent), c'est-à-dire ceux qui s'accommodent du régime pour mieux en profiter et ceux qui, au contraire, le combattent jusqu'au bout de leurs forces, dans une épopée où semble s'inventer une mythologie géante de la modernité.


Les documents :
Bisson frères, Paris. Panorama de l'Île de la Cité et du Louvre en 1857
Travaux nocturnes rue de Rivoli
Les Halles centrales de Paris
Vue panoramique de Paris depuis l'Hôtel de Ville
Le Ventre de Paris, Dossier préparatoire, plan des Halles