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Première
nuit chez Lantier La torpeur L’abandon Gervaise perd la main Dégoût du travail |
Oui,
Coupeau et Lantier l'usaient, c'était le mot ; ils la brûlaient par
les deux bouts, comme on dit de la chandelle. Bien sûr, le zingueur manquait
d'instruction ; mais le chapelier en avait trop, ou du moins il avait
une instruction comme les gens pas propres ont une chemise blanche avec
de la crasse par-dessous. Une nuit, elle rêva qu'elle était au bord d'un
puits ; Coupeau la poussait d'un coup de poing, tandis que Lantier
lui chatouillait les reins pour la faire sauter plus vite. Eh bien, ça ressemblait
à sa vie. Ah ! elle était à bonne école, ça n'avait rien d'étonnant,
si elle s'avachissait. Les gens du quartier ne se montraient guère justes,
quand ils lui reprochaient les vilaines façons qu'elle prenait, car son
malheur ne venait pas d'elle. Parfois, lorsqu'elle réfléchissait, un frisson
lui courait sur la peau. Puis, elle pensait que les choses auraient pu tourner
plus mal encore. Il valait mieux avoir deux hommes, par exemple, que de
perdre les deux bras. Et elle trouvait sa position naturelle, une position
comme il y en a tant ; elle tâchait de s'arranger là-dedans un petit
bonheur. Ce qui prouvait combien ça devenait popote et bonhomme, c'était
qu'elle ne détestait pas plus Coupeau que Lantier. Dans une pièce, à la
Gaîté, elle avait vu une garce qui abominait son mari et l'empoisonnait,
à cause de son amant ; et elle s'était fâchée, parce qu'elle ne sentait
rien de pareil dans son cœur. Est-ce qu'il n'était pas plus raisonnable
de vivre en bon accord tous les trois ? Non, non, pas de ces bêtises-là ;
ça dérangeait la vie, qui n'avait déjà rien de bien drôle. Enfin, malgré
les dettes, malgré la misère qui les menaçait, elle se serait déclarée très
tranquille, très contente, si le zingueur et le chapelier l'avaient moins
échinée et moins engueulée. Émile Zola, L'Assommoir, chapitre IX. |