(1337–1414 ?)
L'épinette amoureuse [V. 1360]
Vers 143-248
Mais quelle cage au dire voir,
Croyez vous que je puisse avoir
Dès lors qu'amour par ses blessures
M'enseigna ses douces jointures ?
Jeune était d'ans assez :
Jamais je ne suis lassé
À jouer aux jeux des enfants
Telles qu'ils prennent dessous douze ans.
Et premiers, par quoi je m'excuse,
Je faisais bien une écluse
En un ruisseau d'une tuilette,
Et puis prenait une écuelette
Que nager je faisais aval ;
Et j'ai souvent fait en un val
D'un ruisseau ou d'un acoulin ;
Sur deux tuilettes un moulin ;
Et puis jouait aux papelotes
Et au ruisseau lavions nos cotes,
Nos caperons et nos chemises ;
Si sont bien nos ententes mises
À faire voler aval vent
Une plume, et j'ai bien souvent
Tamisier en une escafote
La poussière parmi ma cote :
Et était trop bons
valets Au faire de terre boulées ;
Et plusieurs fois me suis esquivé
Pour faire des chalumeaux en blé ;
Et pour les papillons cachés
Me voici bien avancé
Et quant les attraper je pouvais
D'un filechon je les liais
Et puis les laissais aller
Ou je les faisais voler.
Aux dés aux échecs et aux tables
Et à ces grands jeux délectables
Les jeux ne se voulaient pas tels,
Mais de terre à faire pâtés,
Ronds pains, petits flans, tartelettes,
Et un four de quatre tuilettes
Où je mettais ce métier.
Et quand ce venait au carême
J'avais dessous un tabouret
De coquilles un grand grenier
Dont ne voulait nul denier
Alors sur un relevé,
Avec la coquille trouée
Jouait avec ceux de nos rues,
Et tout ainsi qu'on agite et rejette,
Je leur disais : « Couvrez haut
Car vraiment cape ne faut. »
Et quand la lune était serine,
Moult bien à la pince meurine
Jouaient aussi en temps d'été.
À tels jeux ai-je bien été
Plus mari au département
Que le fut au commencement :
Avis m'était qu'on me faisait tort
Quand on m'avait d'un jeu estort.
Puis jouait à un autre jeu
Qu'on dit à la queue leu leu
Et aussi au trotot Merlot,
Et au pierretes au havot,
Et au piloter, ce me semble.
Et quand nous étions ensemble,
Aux poires jouaient tout courant,
Et puis au larron Engherant,
Et aussi à la brinbetielle,
Et aux deux bâtons qu'on restielle,
Et j'ai souvent d'un bastoncieI
Fait un cheval nommé Grisel,
Et aussi souvent fait avons
Heaumes de nos caperons,
Et bien souvent devant les filles
Nous battons de nos coquilles.
Aussi en cet avènement
Jouions-nous au roi qui ne ment,
Aux barres et à l'agnelet,
À « ôte moi de Colinet »,
A « je me plain qui me feri »
Et, dans la chambre, à l'esbahi
Et aussi aux adeviniaus,
À l'avoine et aux reponiaux,
À courte paille et aux risees
À l'esteuf et aux reculees
Au mulet, au salir plus haut
Et à la charrette Michaut,
Puis à la coulée bellee
Qu'on fait d'une ronde Iee
Au cache lièvre, à la clignette
Aussi à la sote buirete,
À la corne de boeuf au sel,
Et au jeter encontre un pel
Ou deniers de plomb ou peretes ;
Et si faisions fosseletes
Là ou nous bourlions aux noix :
Qui en fallait c'était anois.
De la toupie aux amantins
M'ébattait soirs et matins ;
Et j'ai souvent par un busiel
Fait voler d'eau une bulle au ciel,
Ou deux ou trois ou cinq ou quatre :
À voir mon pouvoir ébattre.
À tels jeux et à plus assez
Ai-je été moult lassé.