Les portraits : l'atelier du boulevard des Capucines
par Sylvie Aubenas

Atelier du 35, boulevard des Capucines, Félix Nadar

En 1855, la ferveur photographique bat son plein. Le Gray, brillant sujet, porté par le crédit du meilleur monde, phare de la Société française de photographie, décide de s'installer boulevard des Capucines. L'établissement du boulevard des Capucines est avant tout un atelier de portraits. Le Gray y adopte un style assez uniforme, abandonnant le négatif sur papier pour le négatif sur verre au collodion, mieux adapté aux portraits de commande, et le tirage au papier salé pour le tirage à l'albumine, plus facile, plus rapide, de tons moins variés mais offrant encore d'intéressantes possibilités quant à la densité des teintes et au clair-obscur.

 

La prise en compte des contraintes commerciales


Portrait de Victor Cousin

C'est dans ce contexte d'adaptation des exigences artistiques aux contraintes commerciales qu'il faut analyser un choix esthétique particulier, celui des portraits détourés en ovale. Le visage et la silhouette y sont seuls nets, tandis que le décor se réduit à un élément de siège ou un bout de tapis, le tout cerné d'un doux halo. La tonalité d'ensemble est claire, douce, flatteuse pour le modèle ; et l'abondance de blancs permettait de rehausser facilement le portrait à l'aquarelle ou à l'huile, si le client le souhaitait. Le détourage était destiné à un encadrement ovale, généralement à baguettes dorées, avec un passe-partout crème souligné de doré. On sait que le format ovale a été largement répandu par la suite dans le portrait commercial et qu'il a survécu jusqu'au milieu du XXe siècle, au point d'être ressenti aujourd'hui comme un indice de banalité, voire de médiocrité. C'est sans doute pourquoi on ne mentionne guère que Nadar lui-même en a usé dès sa première période, celle de ses meilleurs portraits.

 

Des salons à la mode


Portrait d'Émilien de Nieuwerkerke

Portrait d'Olympe Aguado

À partir de 1856 et jusqu'à la fin de l'année 1859, dans Paris devenu le rendez-vous international de la richesse, des arts, du théâtre et du demi-monde, les fastueux salons de Le Gray sont bien un lieu à la mode. Nadar témoignera de l'afflux de la clientèle littéraire et artistique – qui recoupe la sienne propre – au boulevard des Capucines. Cette dernière était d'abord riche, aristocratique et internationale. On trouve là Olympe Aguado, le surintendant des Beaux-Arts comte de Nieuwerkerke, le comte Horace de Viel-Castel, le prince et la princesse Menchikov, la princesse Branitska, la princesse Czartoryska, la comtesse Pzedestka, Mlle Troubetskaïa, le duc d'Hamilton et ses fils, Sykes, "gentleman anglais", et ses enfants, le fils du prince Murat, le prince Danilo de Montenegro, la princesse Clotilde, l'ambassadeur de la Porte Fuad Pacha, le vice-roi d'Égypte Saïd Pacha, le président Mesnard, le baron Gros, le cardinal Patrizzi, légat du pape, l'ancien évêque de Troyes Mgr Cour. À côté de ceux-ci, figurent écrivains et journalistes : Alexandre Dumas, Victor Cousin... et enfin artistes, musiciens et comédiens. S'y ajoutent les proches de Le Gray : sa femme, ses enfants, Mestral, compagnon des débuts, et Léon Maufras, l'ami avocat.

Le Prince Danilo de Monténégro (détail)  
Fouad Pacha Monseigneur le Cardinal Patrizzi
      
 
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